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PROLOGUE OU AVANT-PROPOS.
Docilité. Histoire. | BIEN vous soit, honnorable Maistresse de vie, Miroir des aages, & tresor de sagesse. Vous estes celle qui avant le temps, illumine & addresse la jeunesse indiscrete & volage à une meure prudence: Et qui recrée la vieillesse chetive & triste, dune recreation vertueuse & plaisante. Dites moy, je vous prie, ô Princesse alaigre, ydoine & salutaire, quest-ce qui vous amene en ceste assemblée? Ne seroit-ce pas pour sayder icy de vous? & donner au peuple une edification recreative?
Cest cela ma fille.
Vous estes vrayement autant prompte que prouffitable, au service de ceux qui demandent vostre conversation. Ie lexperimente journellement: Mais jestoye venuë icy, pensant veoir une Comedie moralle, & sera elle donc Historialle?
Ouy.
Mais quelle? spirituelle ou mondaine?
Et lune & lautre.
Comment cela?
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LEscriture, dont elle est tirée, est spirituelle, comme aussi est le ministere de la nation Iudaïque dont elle traite en partie, & en partie du peuple Gentil & de ses guerres cruelles, qui est une matiere temporelle & mondaine.
Quel en est le discours?
De Iudith: De Bethulie: de la puissance, & mort dHoloferne: Aussi de lassiegement, de loppression, de la necessité, & delivrance merveilleuse dicelle Cité: Finalement dune Vefve chaste & virile craignant Dieu avec une ferme confiance.
Quel enseignement en pourra-on tirer.
De fuïr le vice & ensuivre la vertu.
Quels vices & pechez evitables seront par icelle representez?
Liniquité des Roys: Loutrecuidance, la vantise & cruauté des Vice-Roys, Colonnels & Capitaines: le blaspheme des incredules: la deffiance envers Dieu, linconstance & lingratitude du commun peuple. En outre loisiveté, limpudicité & la garrulité des jeusnes vefves mondaines.
Quelles sont les vertus imitables, quon en pourra apprendre?
Lutilité de la tentation: la necessité en laquelle tombent ceux-là qui en delices oublient le Seigneur ; Loffice du Magistrat en temps divers & perilleux: [p. 9] La soigneuse vigilance diceluy au proufit de la Commune: & le vray ornement dune vefve vertueuse: nommément fiance en Dieu, chasteté, sobrieté, solitude, diligence, prudence, honnesteté, & une amour zelée de lhonneur de Dieu, & du bien dun chascun. Dequoy la saincte personne de Iudith servira à tous dun miroir exemplaire.
Ce sont vrayement choses serieuses & bonnes. Comment est-ce quon les pourra veoir & ouïr à sa plus grande edification?
Cest bien demandé cela. Il faudra dune part jetter ententivement loeil sur le vice punissable, vilainie ignominieuse & ruïne terrible que le peché a en soy, & dont il guerdonne infailliblement ses serviteurs avec honte, tourment & desolation. Ce faisant, on apprendra à haïr pertinemment le peché vicieux, puis à le combattre comme ennemy, & finalement, Dieu aydant, à le vaincre vaillamment: Dautre part, il conviendra ficher vivement son regard sur le maintien, beauté, bonté, & dignité excellente de la noble vertu, qui tousiours recompense ses amis: dun plaisir sainct, dun vray honneur, & dune beatitude perdurable. Par ainsi on viendra à laymer, desirer & cercher en toute diligence, y parvenant à la fin par la divine grace. Voyla comment le tout sert à eviter le vice & à imiter la vertu. Qui est ores celuy qui ne fuït avecques frayeur la chose quil cognoit luy estre dommageable & perilleuse comme un ennemy mortel? Qui est-ce aussi qui ne tasche affectueusement davoir ce quil entend luy estre comme un vray amy tres bon, utile & prouffitable? Considerez cecy, & y prenez soigneusement garde en ceste sacrée Tragedie, laquelle, comme japperçoy, on va bien tost commencer. Retirons-nous donc. Et vous treshonnorables, [p. 10] nobles, sages & prudents auditeurs, pourrez ouïr & veoir ceste Tragedie historiale avec edification & fruict, si vous imitez & mettez en oeuvre ce quen paroles je vien denseigner à ceste jeune fille. Car on doit ouïr pour entendre, & entendre à fin de practiquer. Oyez doncques, entendez & faites ce qui est bon.
LACTE PREMIER CONTIENT OCCASION ET BRUIT DE GUERRE.
Scene premiere, de lActe premier.
Vefve mondaine. |
ON dit communement, & si le trouve maintenant estre vray par experience, que malheureuse est celle qui se trouve seullette. Si elle tombe, il ny a aucun qui luy tende la main: & si elle a froid, personne ne la rechauffe. LEternel entendoit bien cela, quand il dit: Il nest pas bon que lhomme soit seul, je luy feray une ayde. Ien avoye une helas! Ie dy un mary bening & amiable. Las il est mort! mais pour cela ma nature nest pas mortifiée. Non certes, car je la sen journellement donner à mon corps oisif (se baignant à souhait en plaisirs & delices, à cause de la grande succession dont je vien à jouïr) plusieurs assauts dangereux: dune part de folles cogitations, & dautre costé de persuasions vaines, qui quelque fois me rendent toute vaincuë & transportée daffection. Parquoy je mennuye desormais dainsi demeurer solitaire au logis. Si je ne sors de la maison, je ne suis veuë de personne. Nest-ce point là donner [p. 11] occasion*aux jeunes amoureux, de presumer & dire, que je vueille mourir vefve? Mais non vrayement, cela nest pas mon intention. Ie nay à present que faire à lhostel, & si nay point les habillemens tant simples, que je men doive hontir. Ie ne suis pas aussi des moins gratieuses, selon la representation du miroir, & puis mes ans sont encores de si petit nombre, que je ne doy estre contée entre les vefves. Ce qui me cause une envie bien grande de maller un petit pourmener, pour entendre ce qui se passe, & en deviser avec quelquun. Cecy donc ne me permet demeurer plus longuement enclose en ceste solitude chagrineuse, comme en une prison volontaire. Personne ne my vient veoir, au moins nuls jeunes hommes, la visitation desquels jayme sur toute chose. Ien oy aussi tresvolontiers parler, ma Commere Curiosité. Laquelle je vien cercher icy,*& mesbahy bien que je ne la trouve pas, veu quenviron ceste heure elle est accoustumée destre à la porte.
Scene seconde, de lActe premier.
Curiosité. Vefve mondaine. |
Estes vous là ma Commere? Ie cuidoye bien y devoir trouver une autre devant vous.
Et qui, je vous prie Commere?
Nostre compaigne Fama, qui a des terribles nouvelles.
Quelles? bonnes ou mauvaises?
Bonnes? Helas non! mais les pires.
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Cest doncques merveille, quelle tarde tant à venir.
Pourquoy cela?
Quoy! ne cognoissez vous pas son naturel? Iamais ne marche plus legerement, que quand elle est chargée de mauvaises nouvelles. Voila quelle vient & à grand erre. Nul ne la pourroit devancer quand elle a quel que martel en teste.
Scene troisiesme, de lActe premier.
Curiosité. Fama. Vefve mondaine. |
IE neusse jamais pensé compagne mamie, davoir esté icy devant vous.
Ce nest pas merveille: Tout le monde marrestoit, & me demandoit quelles nouvelles? Ce qui a retardé ma venuë. Et si je neusse abregé ma response, je ne fusse encore icy de long temps.
Ie vous en croy, mais il ne faut rien celer aux âmis, Fama mamie. Racontez nous donc par le menu tout se qui se passe.
Cela pourroy-je bien faire, si nous avions la paix. Mais maintenant chascun iour, voire chascune heure, nous livre plus de matiere quon nen sçauroit reciter en un mois. De sorte que si ie ne racontoye le tout en bloc, laleine me faudroit.
Dites nous donc en somme, les choses principales.
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Tresvolontiers mes cheres mignonnes: Vous avez bien entendu que Nabuchodonosor, Roy des Assyriens, a vaincu le puissant Roy des Medes?
Non sans grand estonnement.*
Ceste heureuse victoire a tant enflé dorgueil, le superbe coeur de ce Roy hautain & glorieux, quil a tout incontinent deliberé de subjuguer tous les Roys de la terre universelle, de changer leurs Loix, de prophaner leurs Temples & ceremonies, & se faire adorer comme Dieu par dessus tous. Cecy arresté, il envoya promptement ses Ambassadeurs à toutes les Provinces & Princes dicelles. Mais iceux le desdaignerent & refuserent sa demande. Alors Nabuchodonosor irrité, fist assembler son conseil, & leur declara lintention quil avoit de dominer & commander à tout le monde. Cecy pleut à ses Estats ambitieux & Conseilliers avaricieux, ne cerchans rien plus que de pouvoir espuiser les richesses desdites Provinces. Sur lesquelles ils avoyent les yeux fichez, tout ainsi que le Vaultour sur la proye. Ce qui les fist grandement louër son entreprinse. Pour laquelle executer, il manda Holoferne, & le constitua Chef & General dune armée si puissante, que peu sest ouy de semblable. Car il a sous luy six vingts mille pietons, & douze mille Archiers à cheval, des chariots sans nombre pour mener le bagage, une infinité de boeufs, brebis & bleds, pour leurs vivres, avec une indicible quantité dor des Finances du Roy.
Ioy dun exercite espouventable.
Vers où avoit-il la teste?
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Tout premierement, il costoya la Cilice, & y couvrit la terre de la multitude de ses pietons, chevaucheurs, chariots & bagages, comme dun nombre infini de sautereaux nuisibles.
Que fist-il là?
Il destruisit & ruïna tout ce quil y trouva. Il donna lassaut aux villes fortes, les gaigna, pilla, saccagea & brusla. Il mit en pieces & au fil de lespée, tous ceux qui luy resisterent, & emmena le reste captif comme povres esclaves.
Helas! Et du povre & desarmé plat-pays, quen fust il?
Cestoit au temps de la moisson. Il brusla les bleds sur les champs, fist couper les arbres & vignobles, mit les villages & hameaux en feu & flamme. Butina tout leur bestail, boeufs, vaches, chameaux & brebis, & fist tomber une telle crainte & frayeur sur tous les habitans, que personne ne sçeut où se cacher.
Scene quatriesme, de lActe premier.
Garrulité. Vefve. Fama. Curiosité. |
ET bien Commerettes, estes vous si tost icy toutes ensemble? Iavoye bien pensé dy estre la premiere, & iy suis la derniere, par une jasarde qui ma trop long temps entretenuë. Il y a des nouvelles à ce que jenten, & me tarde beaucoup, que ie ne les sache.
Tout beau, vous les sçaurez assez tost: car il ny a [p. 15] delectation, nalaigresse aucune. On ne parle que de Gens-darmes, de pilleries, & dun terrible degast de païs & dhommes. Quant à moy, iaimeroy mieux ouïr parler damourrettes, de banquets, & de multiplication dhommes. Quel plaisir y a il en ces malheureuses nouvelles?
Entendre le mal dautruy, allege souvent laffliction des affligez: car la tristesse commune, comme on dit, donne soulagement. Fama, chere compaigne, passez outre, iay grand envie de vous ouïr.
Mais vous sçaurez vous bien taire pour mescouter?
Ne feroye point?
Ien doubte. Ceste peur, cheres Compaignes, estoit si extreme és Princes, Provinces, & villes de là entour.
Quelle peur, Compaigne?
Cestes-cy le vous diront bien. La peur, di-ie, estoit si grande, quils envoyerent leurs Ambassadeurs à Holoferne, & luy presenterent leurs païs, leurs villes & leur avoir: voire leur entiere liberté, & tout ce quils avoyent, se monstrants prests de luy obeïr en tout & par tout, à fin de pouvoir seulement eschapper son ire, & sauver leur vie miserable.
De quelles gens parle nostre Compaigne?
Ne lavoy-ie pas bien dit? Taisez vous, & mescoutez. Cestes-cy le vous diront bien par apres.
Mais quy puis-je entendre, si ie ne sçay cela?
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O combien difficile vous est le taire ma Compagne! Toutesfois je vous aime bien, & mesmes à cause de cela. Ie parle du peuple de Mesopotamie, de Lybie, de Cilice, & autres de là entour. Ces peuples furent saisis dune peur tant effroyable, & dune crainte si coüarde, quils allerent au devant dHoloferne, & mesmes leurs Souverains & Principaux dicelles contrées, & le receurent avec couronnes, flambeaux, tabourins, chants & danses.
O joye dissimulée! mais qui est cest Holoferne, Compagne?
Cest le vice-Roy & General de larmée. Laissez moy poursuivre mon propos.
Mais laissez moy demander premierement: Comment leur en print il?
Comme il en doit prendre à gens peureux, lasches, effeminez, & sans armes, à sçavoir, vilainement & malheureusement. Car leur supplier feminin ne peut jamais amollir son courage felon & sanguinaire.
Que fit il donc?
Il leur bailla de belles paroles: & leur promit mons & merveilles, mais il nen tint rien, & ne fit comte de sa foy donnée, ne de sa promesse, chartre, ne seau. Il trempa son glaive au sang des Nobles, ruïna les puissantes villes, demolit leurs temples & autels, & bastit chasteaux, citadelles & forteresses, qui luy servoyent de ferre-bouches, de grillons & pieges ennuyeux, voire dun insupportable joug de servitude perpe- [p. 17] tuelle & tyrannie implacable aux espaules miserables de ces peuples malheureux.
Il me semble, à vray dire, que nous nous rendons nous mesmes malheureuses à nostre escient, en escoutant & jasant de choses si perverses. Quavons nous, je vous prie, à faire de si horribles nouvelles? Et quel plaisir nous est-ce de dire mal de gens incogneus? des Assyriens? dun Holoferne que nous ne vismes jamais? Ny a-il personne entre les nostres, de qui lon pourroit (quand on y prendroit plaisir) raconter choses meschantes à nostre propre louange, & choses viles à nostre honneur?
Ie vous promets quouy, Commere: & jen suis des vostres.
Ie cognoy icy en la ville une vefve si bigotte, quelle creve dhypocrisie. Il ny a oeuf si plein de glaire, quelle est pleine de feintise & simulation.
Ioseroye gager qui cest.
Il ma fallu pour lamour delle ouïr nagueres de mon Oncle une bien longue predication: Il prisa ceste Iudith tant & plus, & la dit estre une mesnagere bonne, chaste, coye, diligente & craignante Dieu. Ne se portant autre envers moy, que si je fusse la plus grande jasarde, babillarde & vagabonde de toute la ville. Et quoy? Ceste belle dame Iudith est-elle maintenant une Deësse tant parfaite & accomplie.
Aucuns lestiment telle, ma Commere.
Cest bien dit, estiment. Si vous en vouliez toutes [p. 18] trois parler à droit, jestime quon entendroit bien-autre chose de ceste trenche-dame, de sorte que chascun auroit plus doccasion de la mespriser, que de la priser.
Cest du coq à lasne, ma Commere. Si est-ce quil me faut dire cecy de Iudith, cest que jestimoye jadis (comme vous faites à present) toute sa vie & conversation une pure hypocrisie, mais apres mavoir enquesté de bien pres (selon mon naturel que bien cognoissez) de tout son faire & dire, je cogneus en verité quelle craind le Seigneur, jeusne continuellement, se vest dune haire, & se tient tousiours comme enfermée avec ses servantes en son cabinet secret, là où elle nest aussi jamais oyseuse.
A vous toutes, cheres Compaignes, est assez notoire (pour en dire mon opinion) que la vertu de ma trompette sonne & retentit tellement és oreilles curieuses, que mille & mille langues en sçavent à parler. Et si sçavez en outre, quil ny a personne qui plus que moy frequente les lieux, pour secrets quils soyent, où lon dispute des choses humaines, & toutesfois me convient confesser, quen jour de ma vie je nentendy daucun, ne personne de moy, mot ne mottelet, qui avec la moindre apparence de verité peust tendre à son deshonneur.
Vous nen oseriez dire autant de moy, Fama mamie, encores que nous soyons si bonnes compaignes.
Est-ce merveille que cela? Elle se taist tousiours des fautes dautruy, mais vous jamais. Elle est tousjours occupée en chose utile, mais vous jamais. Elle est tousiours contemplative & veillante à Dieu, à soy-mesme, & à la vraye vertu, mais vous jamais: Iugez maintenant vous-mesme, Compaigne, si la [p. 19] faute est à vous ou à moy, que sa renommée est bonne, & la vostre mauvaise.
Vrayement ma Commere, pour y adiouster aussi le mien, ie cognoy fort bien & Iudith & vous: Quelle chose fuït elle plus que compaignie dhommes, & à quoy taschez vous plus? Quest-ce quelle mesprise plus quostentation & parade, & quaffectez vous plus? Y a-il rien aussi que plus elle abhorre & haït que les delices, laise & la volupté? Et quelle chose est-ce que plus vous aymez, cerchez & pourchassez?
Que vous en semble, ma Commere? Comment vous sonne cela aux oreilles?
Certainement, si vous prenez toutes plaisir à minjurier, il est temps que ie vous quite la place. Ie nignore pas aussi, combien sainctes vous estes toutes trois, parquoy ie nay que faire de vous, il ne faut pas que ie brimbe icy mon pain, ien ay prou, graces à Dieu, chez moy. Mais regardez, ie vous prie, où nous en sommes? Et ces faitardes cuideroyent-elle bien le mesdire estre pieté? Voire dea, est cela le faict de vrayes amies? Cest plustost le tour dennemies vilaines, picquantes & venimeuses. A Dieu jasardes, babillardes, causeresses, & vrayes langardes que vous estes.
Hola, ma Commere! entrez-vous en cholere? Ne vous en allez pas ainsi courroucée: ce nest que par privauté familiere que nous le disons.
Voire par privation damitié. Les familiers denfers facent compaignie à telle cohorte.
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Que vous en semble, est cela une vefve feinte & double? Il mest advis quelle porte le coeur en la bouche.
Scene cinquiesme, de lActe premier.
Garrulité. Curiosité. Fama. |
Voyla quelle sen va, la bonne piece.
Elle est belle de face, mais laide de meurs.
Cest une Nymphe oisive, paresseuse & gloute, un vray fillet & rets, pour prendre les amoureux aveugles.
Il me semble, Commere, quen la blasmant, vous vous blasmez aussi vous-mesme.
Vous diray-je, ma Commere? il me semble que vous estes linjure mesme. Mais dautant que mes oreilles sont bien accoustumées douïr mesdire, ie lavalleray doux comme succre.
Oyons, chere compagne Fama, le reste de vos nouvelles.
O ie vous en prie, Fama. Ceste babillarde ne rompra plus vostre propos.
Vostre caquet ne lentrerompra-il point?
Non, ie le vous promets.
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Nos gens entendants ceste horrible approche.
De par qui?
He, quelle inquiete! Par moy, par des bergers, païsans, bourgeois & Gentils-hommes, qui senfuyoyent çà & là par troupes. Nos gens, dy-ie, entendant cecy, redouterent fort cest Holoferne, & furent tous saisis dune peur & frayeur incroyable, doutant quil ne vint à faire le semblable de Ierusalem & de leurs autres Temples. Parquoy ils fortifierent les villes de ramparts, de batteries, de fossez & bouleuerts. Ils firent provision de bleds, & de toute sorte de munition, puis mirent garnisons aux destroits des montaignes, pour deffendre les passages.
De quelles montaignes?
De celles par où les ennemis pourroyent entrer. Cela fait, ils se mirent à jeusner, à jetter la poudre sur leurs testes, & à prier Dieu. Ils se consolerent les uns les autres, deliberans par ensemble de hazarder leurs vies pour lhonneur de Dieu, pour la liberté, pour la patrie, pour leurs femmes & enfans.
Il nest pas besoing de faire plus long recit de cela, car nous voyons le mesme icy en Bethulie.
Il est ainsi: Nous voyons que par ceste peur, le peuple sen court à Dieu, tout ainsi quen delices il sen escarte bien loing. Mais ie doute que ce ne sera quun repentir de Gibet.
Point autre, ie vous en asseure: Si les verges [p. 22] estoyent au feu, la devotion ne seroit plus au coeur.
Or vous ay-je satisfait, cheres Compaignes, & vous voulez, ce me semble, demeurer encores icy. Parquoy men vay ailleurs. A Dieu.
A Dieu, Compaigne, jusques au revoir. Nous vous remercions grandement.
Ie men vay quant & vous, chere Compagne.
Scene sixiesme, de lActe premier.
Dame noble. Curiosité. |
LAsse de coeur, lassée de courage, & travaillée de membres, suis-je à la fin parvenuë en ceste Cité. Ah! que desaccoustumance agrave bien la misere, le desplaisir & travail de celle qui nest accoustumée, que destre en delices, plaisir & aise. Helas moy! Dites moy, ma fille, où pourray-je icy trouver un bon logis?
Vous semblez contristée, Madame. Qui estes vous, mais quil ne vous desplaise? Doù venez vous? Et où tendez vous?
Voire triste & desolée suis-je, fille mamie, & tasche, en fuyant les richesses ruïnées, à sauver une vie si miserable, quelle est pire que la mort mesme.
Vous fuyez donc lennemy, Madame?
Las ouy! O que nest aussi mon ame fuïe hors la chartre malheureuse de ce mien corps, par la sanglante [p. 23] espée des meurtriers barbares, à fin que dun coup ie fusse delivrée de toute calamité.
Où a esté vostre habitation? Et quest-ce qui vous est survenu, recitez-le moy, Madame, je vous en prie.
Ah! ne rafreschissez pas la playe de mon coeur par tel recit. La peine nest delle-mesme que trop recente & cuisante.
Hola! Ne vous recognoy-ie point, Madame? Nestes-vous pas de Mesopotamie? de la ville de Geba? la femme du Gouverneur? Vrayement cest vous. O quel changement! Où est vostre mary, vostre mere & vos enfans?
Helas! Mon trescher Seigneur & mary, mes chers enfans & ma caduque mere, peuvent ores estre tous en cendres. Ils sont maintenant tous (Ah moy malheureuse) bruslez tous vifs en ma maison paternelle. Laquelle au sac de nostre ville fut subitement esprise des flammes ardantes, ainsi que ie me sauvay par une arriere-porte. O moy miserable & malheureuse que je suis! Pourquoy ay-je faulsé ceste tant douce compaignie en sa briefve calamité? Ils ont ores franchi le pas, & je suis encore au milieu de tous malheurs. Las folle amour de vie! Nestoit-il donc en moy de considerer quune vie briefve est meilleure que la longue, quand elle est amere, dolente & miserable? O mon cher mary! que ne suivistes-vous mon conseil? Est donc ladvis des femmes tousiours suspect à lhomme? Neust-il pas mieux valu davoir attendu vaillamment un peril hazardeux, quune ruïne certaine? Lun promet quelque yssue, & lautre non. Lheur ayde souvent aux courageux. Mais quelle misericorde peut-on attendre dun Tyran? Ou quelle foy peut-on esperer [p. 24] dun homme inique? Helas! vous aviez compassion du povre peuple, & vous le vouliez soulager. Cecy vous fit à vostre ruïne si malheureusement ouvrir la porte à ce grand ennemy de la societé humaine.
Vostre ville nest donc pas forcée, ne prinse dassaut.
Non: mais envahie par labus dune folle confiance.
Scene septiesme, de lActe premier.
Curiosité. Matrone rustique. Dame noble. |
O Madame, vostre malheur me desplait grandement, & dautant plus que le mal devient commun. Ie doute, las! Ie doute, quencores vous serez icy arrivée de mal en pis. Mais je vous prie, regardez un petit quelle villageoise desolée que voila venir! On jugeroit, à veoir sa face, lennuy de son coeur. Hola, Matrone, doù venez vous?
Du pied des montaignes du village Ruïna.
Où est lennemy?
Là à lentour.
Que fait-il?
Il met tout en combustion, occit, meurtrit, & pille tout. Et par dessus cela, charge le peuple de grosse rançon. viole & force femmes & vierges: lie & gehenne les juvenceaux: emmene nostre bestail, & couvre la campaigne de brigans sanguinaires,*comme de sauterelles ruïneuses. Mais ce seroit peu que de la perte du bestail, des maisons, arbres & fruicts des champs, si [p. 25] seulement les gens fussent excusez & espargnez.
Avez vous donc aussi perdu de voz gens?
Perdu? O si jeusse perdu paravant mes deux yeux, je neusse point veu une perte si odieuse. He! de quelle piteuse & triste chere mes chers fils me regardoyent, quand par lennemy ils furent enchevestrez & emmenez comme esclaves? Ah! & quelle pitié fut-ce de veoir ma fille honneste estendre piteusement en vain les mains vers nous (ô douce vierge!) pour avoir quelque secours, quand elle fut outrageusement forcée en nostre presence? Le dolent Pere, chargé de nostre enfant puisné, pour le sauver à la fuite, ne pouvant aucunement souffrir cela, sy opposa dune rage insensée, tout ainsi que fait la Lyonne furieuse à qui on a ravi ses faons. Parquoy un de ces villains paillards, en transperçant le coeur de mon doux enfançon, luy mit son estoc meurtrier au travers du corps. De sorte que le Pere & fils cheurent tous deux roides morts à terre, sur nostre povre fille violée, qui fut piteusement arrousée & souillée du sang vermeil de son Pere & de son frere. Tout cecy virent mes yeux miserables: cecy souffrit mon coeur maternel, & cecy supporta mon ame triste, sans pouvoir donner quelque ayde à mon mary, ny à mes enfans. O malheureuse que je suis! à quoy te sert la vie? Où ten-cours tu? Et quest-ce que tu fuïs? Seigneur Dieu, console ma povre ame. Donne moy, ô Dieu pitoyable, force de pouvoir porter bien & patiemment ceste tant intollerable affliction. Ah!
Scene huictiesme, de lActe premier.
Abra. Dame noble. Matrone rustique. Curiosité. |
O Que bien peu on trouve telles Dames, que madame Iudith! Elle est riche pour les povres, mais [p. 26] povre & chiche pour soy au milieu de ses richesses. Elle subvient de son affluence à lindigence de chascun, & à peine en prend-elle sa necessité. Laquelle elle retrecit & retrenche au possible, tant en vestements, quen vivres, à fin de pouvoir liberallement entretenir les disetteux de nourriture & de vestements. Quand est-ce quon la void faire quelque despence inutile pour orner ses habits? Iamais. Et qui la void, estant saine, acheter quelque friandise? personne. Elle est chiche & espargnante envers soy-mesme, & liberalle envers les povres. Voila comment la charité fraternelle jeusne en elle, pour rassasier laffamé. Laquelle aussi fait quelle se contente de peu, pour pouvoir donner beaucoup. Car son plaisir souverain est, de faire bien à chascun. Ce plaisir icy, & ceste amour, ne la laissent aucunement à repos, de sorte quelle ne se contente jamais de bien faire aux amis & cogneus, mais tasche continuellement de trouver plusieurs autres povres, dignes daulmosnes, pour les faire liberallement participants de sa grande liberalité. Ouy, ne plus ne moins que lavare usurier tasche à trouver quelque affligé pour tirer de luy, par lhameçon dusure, le reste de sa povreté, tout ainsi cerche ma Dame benigne des personnes vrayement povres, fameliques & disetteuses, à fin de les sustenter & rassasier de son avoir: estimant telle distribution un gaing & proufit excellent, comme prenant plus de joye en donnant, que ne fait le povre, en recevant. Combien de fois luy ay-je veu donner jusques à la derniere maille? Et si je luy disoye adonc: Ma Dame, que retiendrons nous? Elle me respondoit: contente toy, Abra, Dieu y pourvoyera, il est liberal & fidele. Ie ne touche point encore à la somme capitalle. Iay du credit, ce que ces povres gens nont pas. Si je craignoye la distribution de lusufruict, que feroy-je donc, quand la pure necessité de mon prochain requereroit & larbre & la racine? Le Dieu superabon- [p. 27] dant ne nous sçauroit-il donc nourrir sans Capital, ou sans rentes? O admirable confiance en Dieu? Cest une vraye fille dAbraham. Aussi nest-elle pas deceuë en ceste sienne confiance, car japperçoy que le Seigneur la beneit merveilleusement. Mais quelle vraye solicitude maternelle monstroit-elle tout à ceste heure envers les povres, quand on parla en nostre maison de lapprochement de lennemy, de la surprinse des villes, & de la combustion ruïneuse du plat pays! Las! disoit-elle alors dune voix pitoyable! Combien de povres gens on verra maintenant desoléement vaguer çà & là, sans argent, sans credit, sans*aucun refuge, & pleins dennuis, peines & douleurs! Helas, où se logeront ces povrets! Viste, Abra, me dist-elle adonc, va ten à la porte de la ville, & regarde, quelles gens y entrent: Que si tu apperçois quelque femme qui soit povre ou desolée, amene-là icy, nous la consolerons & repaistrons. O combien telle chose me seroit agreable, si Dieu permettoit que je tombasse en telle necessité. Nest-ce donc pas raison que je le face aussi? Et cela mesme est la charge que jay de venir icy, là où, ce me semble, je voy desia moyen de lexecuter dignement envers ces deux estrangeres tristes & desolées. Ausquelles jestime aussi de nestre que la tresbien venuë. Ie men vay doncques parler à elles, pour leur presenter la liberale largesse de ma benigne Dame. Dites-moy, Madamoiselle, & vous aussi, Matrone, demandez-vous logis? Il mest advis que vous venez de loing, & si me semble à vostre chere, que soyez lasses & dolentes.
Ouy, en bonne foy, mamie, nous en avons besoin, & avions desia prié ceste-cy, de nous y assister. Adressez-nous, je vous prie, où nous pourrons estre bien.
Madame, il semble à veoir que soyez encore riche, [p. 28] & que puissiez avoir quelque argent ou joyaux, pour payer lhostesse: mais helas, je nay rien retenu quune vie povre & miserable. Parquoy il me convient cercher autre logis, que vous.
Le peu que jay, chere soeur, pour petit quil soit, est pour vous, comme pour moy. Ceste calamité commune fera quaussi ma petite povreté vous sera commune tant quelle durera.
Non, non: il nen est pas besoin: Venez vous-en toutes deux quant & moy vers ma Dame. Elle est si riche de liberalité pitoyable, que de biens temporels, & que plus est, pleine damiable consolation. Venez donques toutes deux avecques moy, & vous ferez bien traitées de ma Dame debonnaire. Car sa liësse souveraine consiste à conforter les desolez.
Puis quainsi vous plaist, nous vous suyvrons. Ie voy bien que le Seigneur veut maintenant faire une povre mendiante, de moy, qui jadis fus une riche distribuante. O quel changement & desastre!
Y a-il donc encore au monde gens si pitoyables, benings & misericordieux?
Qui pourroit penser mal, je me tairay de mal dire, dune telle vefve? Son bien-faire incessamment, assopit tout mauvais caquet, & ferme la bouche à tous mesdisans. Ie trouve maintenant par experience, que la bonne vie est vraye mere dune bonne renommée.
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LACTE SECOND COMPREND LAFFLICTION DUNE VILLE assiegée.
Scene premiere, de lActe second.
Curiosité. Deffiance. |
MA Tante, navez vous pas veu combien vistement Fama vient dentrer en la ville?
Non vrayement, ma niepce, & doù vient elle?
Du camp de lennemy. Vous navez donc pas veu le soldat que nos gens ont amené prisonnier?
Ne cela aussi. En sçavez vous quelque chose?
Rien de certain, sinon quon dit que lennemy mesme lavoit fait liër à un arbre. Ie le sçauray bien tost de par Fama, elle doit passer par icy, & je ly attens.
Se pourroit-on aussi fiër en un tel homme? Lennemy est caut & fin. Ie doute que ce ne soit quelque ruse decevable. Estre fidele, nest que bon: mais croire de leger, nest jamais bon. On doit estre fidele & ne croire nulluy. Est-il chose plus decevable, que se fiër legerement en tout homme? Ie men vay vers le marché, pour menquester que ce peut estre.
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Scene deuxiesme, de lActe second.
Curiosité. Fama. |
VOyla ma compagne. Ie lavoye deviné tout à point. Et quest cecy, ma chere Fama? Comment! vous rapetissez vous! Ie cuidoye que vous deussiez plustost croistre. Vous souliez aggrandir en allant, & maintenant vous apparoissez plus petite à mes yeux, que ne faisiez hier & avant-hier. Doù vient cela, ma Compaigne?
Nentendez-vous pas cela? Cest à cause que je vien de bien pres dicy.
Ce qui se void de pres, apparoist communement grand, mais ce qui se void de bien loing, semble estre petit, encores quil soit grand, & il en va de vous tout autrement.
Il est ainsi. Car quand je vien de bien loing, je vole parmi plusieurs bouches, lesquelles y adjoustent ordinairement quelque chose, cest cela qui me fait devenir grande. Tout ainsi quun peloton de neige, tant plus loing quon le roule par la neige colleuse, tant plus devient-il grand. Mais maintenant je ne vien pas de place loingtaine, ains de bien prochaine à la ville, voire de nos fauxbourgs. Mais il y a ceste difference, quapparoissant grande, je suis ordinairement incertaine, & estant petite, comme à ceste heure, je suis plus que certaine. Car je ne suis plus comme un bruit, mais comme un sentiment palpable, une ouïe asseurée, & une veue infaillible. De sorte que je ne deviens pas seulement petite, mais suis aussi en danger de mesvanouïr du tout par lexperience de verité. Lon a entendu de loing plusieurs mensonges con- [p. 31] trouvez, & maintenant on sentira de pres de jour à autre choses vrayement griefves.
Vous estes dun naturel estrange, à ce que jenten, & vous cognois. Mais dites-moy, ma Compaigne, quest-ce qui se passe maintenant? On dit quon a icy amené un soldat prisonnier.
Un soldat, mamie! Cest un Capitaine des Amonites, un homme grave & magnanime.
Comment est il venu és mains de nos gens?
Ils le trouverent lié à un arbre au pied de la montaigne, tout pres de la ville.
De qui?
De lennemy mesme.
A quelle raison?
Pour ceste-cy: Toute lentreprise de Holoferne luy succedoit à souhait. Ceux qui luy avoyent fait resistence, estoyent vaincus. Lesquels aussi il avoit tellement ruïnez de fons en comble, que tout coeur dhomme estoit abbatu, en oyant seulement proferer son nom espouventable. De sorte que personne nosoit plus lever là teste contre luy. Chascun luy faisoit passage & ouverture de villes, bourgades & forteresses. Mais venant par deçà, il trouva les destroits des montaignes fermez, & gardez de forte garnison. Dont il sesmerveilla grandement. Il brusla dire en son coeur, & demanda quelles gens cestoyent, lesquels si temerairement sosoyent opposer à sa tant redoutable [p. 32] puissance. Et outre cela, dun desdain despiteux, il demanda quelle estoit leur puissance, & quelles villes & forts ils avoyent, & qui estoit leur Roy. A quoy respondit ce Capitaine Ammonite (nommé Achior) Ce sont, Sire, des Chaldeens, qui ont delaissé & quitté la pluralité des Dieux, & lidolatrie de leurs ancestres, pour adherer & adorer un seul Dieu. Ce Dieu toutpuissant a fait merveilles, en destruisant leurs ennemis, quand seul ils lont honnoré & servi, mais quand ils sen sont detournez, & se sont addonnez aux Dieux estranges, cheminants par voyes obliques, adonc aussi il les a abandonnez, les a vendus à leurs ennemis, & les a livrez au pillage, à lespée, & en opprobre à toute nation. Et quand ils ont cessé de pecher, en faisant penitence, leur Dieu aussi a cessé de les affliger, & les a delivrez des mains de leurs ennemis. Car leur Dieu hait meschanceté, & aime la vertu. Parquoy mon Seigneur, dist-il, enquestez-vous si ce peuple a peché contre son Dieu, & si ainsi est, il les subjuguera, sans doute, au joug de voste puissance Mais sil ny a point diniquité en ce peuple-cy, Dieu sera pour eux, & les deffendra puissamment, & fera que nous serons en opprobre à toute la terre.
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Osoit-il bien dire cela?
Hardiement.
Comment luy sonna cela aux oreilles?
Si mal, que tous les autres Capitaines senflammerent dire contre luy, & delibererent de le tuer.
Que disoit Holoferne?
Par ces dernieres paroles dAchior, il entra contre [p. 33] luy en une cholere si chaude (dautant quil ne croit pas quil y ait quelque Dieu, qui puisse resister à sa puissance redoutable) quil lenvoya liër à un arbre. Pour te monstrer (dit-il à Achior) quil ny a point dautre Dieu, ne puissance, que Nabuchodonosor & son exercite, la multitude de mon armée transpercera aussi tes costez, quand leur glaive destruira ce peuple temeraire depuis le grand jusques au petit. Voila, ma compaigne, ce que jen ay appris. Parquoy vous dy lAdieu, & men vay trouver autre compaignie.
Scene troisiesme, de lActe second.
Curiosité. Vefve mondaine. |
VOicy revenir la bonne: Elle entre subit en cholere, mais aussi cela se passe bien tost. Dites moy, ma Commere, quavez vous de bon?
De bon? Demandez, quel mal. Qui pourroit maintenant avoir quelque chose bonne? puis que la mauvaise, Helas! nous approche de plus en plus.
Navez-vous pas veu le Capitaine prisonnier?
En doutez-vous?
Nest-ce pas bon que cela?
Si est vrayement. Ie ne vey en jour de ma vie homme si bel, doux & courtois. Il meriteroit plustost de coucher entre les bras de sa maistresse, que destre ainsi lié à un arbre.
Ie lentens ainsi. Mais que pensiez vous, ma Commere: ô que nay-je un tel mary!
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Seroit cela chose estrange? Ou mestimez-vous une vieille ridée & fenée? Ie vous confesse volontiers que jestimeroye bien-heureuse celle qui auroit un tel mary, tant est-il affable & gracieux. Ie ne pouvoye destourner aucunement mes yeux de sa face angelique. Voire le profil accompli de son beau visage mattira jusques à la place du marché, où je le regarday tant & si longuement, quil parla au peuple.
Que disoit-il, je vous prie?
Mes yeux furent si empeschez à regarder la bonne contenance, que mes oreilles ne prindrent garde à son dire. Aussi ny allay-je pas, pour ouïr ses paroles, ains pour veoir & contempler sa beauté, dont je ne me pouvoye assouvir. Ienten quil doit aller chez le prestre Ozias. Là où ie me vay aussi trouver, pour le veoir encores une fois. A Dieu.
Scene quatriesme, de lActe second.
Curiosité. Deffiance. |
Venez-vous du marché, ma Tante?
Ouy, ma Niepce.
Quest-ce quon y dit de ce Capitaine prisonnier.
Le Magistrat sest assemblé, & toute la Commune aussi. Ausquels il a raconté loccasion pourquoy il avoit esté lié à larbre: le courroux de ses comfreres Capitaines: Aussi les vantises & menaces horribles dHoloferne contre luy, & contre nous tous. Le peuple [p. 35] oyant cecy, se jetta contristé en terre, invoquant le Seigneur, & disant avecques larmes: Seigneur, qui es le Dieu du Ciel, monstre maintenant que tu nabandonnes jamais ceux qui se fient en toy, mais que tu abbaisses tousiours ceux qui se fient en leurs bras.
Et puis?
Le peuple pleura, & ne cessa de prier tout ce jour là. Apres, ils consolerent Achior.
Comment pouvoyent ces despourveuz de conseil & de confort, consoler & conforter un autre? Cela sent sa perfection, laquelle ie ne cuide estre en la Commune. Mais dequoy le consolerent-ils, ie vous prie?
Ils lasseurerent quil verroit plustost la ruine dHoloferne, que de soy-mesme.
Quel pleige luy en donnerent-ils?
Paroles, vent & persuasion. Sur le soir quand tout le peuple fut departy, Ozias le reçeut en sa maison, & luy fit un grand banquet, où tous les Prestres assisterent. Le convive fini, tout le peuple fut derechef convoqué ensemble au Temple, où ils prierent toute la nuict le Seigneur, invoquants son ayde, mais tout en vain, comme jen doute.
Pourquoy cela?
Et que nous sommes tous morts.
Comment cela?
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Si vous estiez sur les rampars & murailles, vous le verriez bien-tost. Car de là vous pouvez aisément veoir, comment lennemy a desia cerné & environné de son armée invincible nostre ville peu forte. Et cela si estroitement, quune seule souris nen pourroit eschapper. Il fait icy faire des trenchées inexpugnables, & là, dresser des instruments terribles pour abbatre nos murs, & faire bresche suffisante. Dun costé sont les enfans perdus, tous prests pour nous escheller, & dresser contre nous le pont volant: Dautre costé se voyent les pionniers & gastadours fouïr à lenvi, pour nous couper les conduits deaux, & une partie diceux sont empeschez à saper nos murailles, faisants icy dune plaine, un mont: & ailleurs dun mont, une plaine.
Et nos bourgeois, que font-ils?
Helas! ils s ont assez volontaires. Lun emplit les garites, lautre renforce les rempars, & fait des nouveaux fossez en forme de croissants, contre linvasion de lennemy, dune telle diligence, quil semble chose incroyable ce quils ont fait depuis ce matin. Mais que sera-ce? Dieu nous a mis en oubly, & a bandé les yeux de nostre Magistrat lasche & coüard, à fin quil nempeschast à lennemy de gaigner les destroits des montaignes. Parquoy chascun ne feroit que bien de tascher à se sauver en temps.
Ie vous diray, ma Tante: je men iray tout droit vers la besongne, & en cas que jy trouve la chose comme vous dites, je sçay que jay à faire.
Allez-y hardiment, vous trouverez pis que ie ne vous ay dit.
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Scene cinquiesme, de lActe second.
Dame noble. Matrone rustique. Deffiance. |
O Seigneur, jusques à quand lanceras-tu contre nous les dards de ton ire? Ne cessera donc jamais ton courroux envers nous? Veux-tu donc, ô bon Dieu, que la nation idolatre accable derechef ton peuple Israël? quil ruïne du tout ton sainct Ministere? & y replante ses faulses & vaines ceremonies? En quoy, ô Pere, avons-nous merité cecy?
Las! que sera-ce de nous? Leauë nous commence à defaillir, & si avons bien peu de pain, & bouches à foison. Quattendons-nous autre chose, quune famine Samarienne?
Cela est vray. Que mangera doresenavant le peuple? Il ny a point de provision. La Manne aussi ne tombe point tousiours. Il mest advis que ie voy desia le peuple amaigri, pasle & terny dune faim rongeante, ayant les yeux cavez & enfoncez en la teste, les os descharnez & pointus dessoubs une peau miserablement ridée, cercher & fouiller de leurs ongles aiguës aux rempars & terraces quelques herbettes fenées, ou racines my-seichées, pour appaiser aucunement leur vuide estomac.
Il ne faut, helas! attendre autre chose.
Et qui pis est, je doute que bien tost la faim insatiable privera tellement*les meres & nourrices pitoyables, de toute amour maternelle, quelles tascheront plus que barbarement destre sustantées par la chair de leurs propres enfançons, & ensanglanteront leurs dents fameliques du sang innocent de leurs doux [p. 38] fruicts, les ensevelissants en leurs ventres creux & affamez.
Las moy! femme miserable que ie suis! Pourquoy suis-ie venuë en ceste Cité calamiteuse? Une briefve & subite mort ne meust-elle pas esté meilleure, que ceste crainte dune mort tant dure, aspre & languissante?
Et lune & lautre, ma soeur, sont choses griefves. Si est-ce que le mourir de faim me semble plus dur que destre mortellement lapidée. Mais quant à manger nos fruicts, nous en sommes, helas! delivrées toutes deux, veu que les vostres, comme vous dites, sont tous meurdris ou emmenez, & les miens, comme ie croy, tous bruslez & reduits en cendre O consolation desconfortative! Voila comment une personne est à la fois delivrée de la crainte dune misere future, par une calamité passée. Mais dequoy nous sert, nous tourmenter de la peur dune affliction à venir? Y a-il angoisse plus amere & poignante, que celle que nous souffrons presentement? Il ny a plus deauë, & lesperance den pouvoir recouvrer, nous est ostée par lennemy. Le peuple alangouri commence ja de se tarir & fourseicher, voire à se pasmer, & rendre les esprits par une soif extreme. A quel propos nous affligeons-nous, de peur que la famine ne nous surprenne? Peut estre que nous serons toutes transies de soif, avant que nous sentions laiguillon de vraye famine. Celuy qui est au milieu des flammes, ne doibt craindre la fumée.
Il est ainsi, Madame, mais dattendre playe sur playe, est chose insupportable, & signamment, quand on nenvoit point dissuë.
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Nest-il pas vray, Deffiance?
Cest toutesfois follie à lhomme affligé, daggraver son affliction presente par la crainte quencore autre calamité luy adviendra.
O que la faim est une mort lente & tardive! elle matte la personne de longue main: diminuë peu à peu ses forces naturelles: & la fait mourir de mille morts. O que cest un glaive formidable!
Mais quelle peine y a-il plus aspre & violente, quune soif aride? Elle ard ja desia, & altere tellement les hommes dune ardeur inextinguible, quils vont lechants la moiteur de leurs rondelles & harnois pour trouver quelque allegement. Lun aussi masche du plomb, lautre prend de lherbe entre ses dents, & le tiers succe les branches & sermens des vignes. Et qui pourroit ores estancher ou amoindrir les flammes cuisantes de sa soif fervente, en humant avidemment quelque goutes deau froide? Un trait ou deux ne peut suffire, & une cruche prinse à lemblée, est bien tost vuidée. Ah, quelle destresse!
Iay par cy devant blasmé asprement la temerité inique de nos Ancestres, qui aux deserts steriles, par faute deau, murmuroyent contre Moyse, tentant le Seigneur dune ingratitude infidele. Mais ie faisoye cela comme femme mal experimentée, qui navois oncques (comme ie cognoy bien maintenant) senti à droit, que cest de souffrir la soif. Las, ie neusse iamais creu la soif estre une playe si cuisante & violente!
Nous autres aussi, estans assis en nos delices vo- [p. 40] luptueuses, nous ne pouvions aucunement croire que nos forfaits, pour grands quils fussent, deussent si fort offencer lEternel, que de le mettre en telle fureur ardente & ire destruisante. Aussi nentendy-ie oncques si bien que maintenant, les menaces du Prophete contre nos gens, lesquels prenoyent grand plaisirs en leurs convives au son des instrumens musicaux, & non aux oeuvres de Dieu, dont ils ne faisoyent conte. Parquoy, ils furent maudits, & demeurerent*en leurs pechez. Maintenant aussi, nous cognoissons en verité, que nous sommes ceux-là qui ne veulent devenir sages par bonnes admonitions, ains par playes & battures sensibles.
Cela est vray, mais telle sagesse & amendement prendra bien tost fin avecques nostre vie.
Scene sixiesme, de lActe second.
Superiorité avec sa suite. Deffiance. Dame noble. Matrone rustique. |
ET bien, Dame trouble-feste, es-tu là? Tose-tu encores trouver devant moy?
Mais estes-vous aussi à bon escient courroucée contre moy, Madame?
En doutes-tu? Ne sçais-tu donc pas, que ton mauvais caquet met toute la Commune en trouble & anxieté?*voire en desespoir?
Et comment pourroy-ie faire cela, Madame, encore que ie le vousisse?
Demandes-tu cela? Ne dis-tu pas le pouvoir de [p. 41] lennemy estre grand, & la puissance de Dieu petite?
Celuy qui estime les forces de lennemy petites, les trouve communement trop grandes.
Celuy qui se fie en la puissance divine, ne doit craindre aucune force humaine.
Se fier en miracles, est chose temeraire & vaine.
Ne se fier aux promesses de Dieu, est une pure infidelité. LEternel ne nous a-il pas promis, que cent des nostres en tueront mille des ennemis.
Ouy bien, Madame: mais il y adjouste, si nous gardons ses Commandemens: Faisons-nous cela?
Si nous ne le faisons tous, helas! jespere au-moins quil y aura entre nous quelques justes, pour lamour desquels, Dieu aura pitié de nous: nous espargnera, & nous assistera. Comme plusieurs fois il la fait à nos Peres, encores quils ne fussent tous ny bons, ny saincts: Si nous nen avions les promesses du Seigneur, ton dire auroit quelque apparence. Parquoy ce nest quune pure incredulité & folle diffidence envers Dieu. Prens-tu donc plaisir à rendre le peuple abbatu, perplex, & sans courage? Est cela autre chose quune espece de sedition?
Si le peuple se mutine, mon dire nen sera la cause, mais la ruse de lennemy. Ne nous a-il pas coupé les conduits des eauës, mettant forte garnison aux sources & fontaines? De maniere quil nous a reduits à une soif extreme. Qui est celuy, qui en plusieurs jours a peu abbreuver son gosier aride? A qui est-ce quon [p. 42] baille maintenant leau sinon par mesure? Cuydez-vous que le peuple voudra endurer plus longuement ceste soif importune. Ou sçavez-vous remede, comme Moyse, pour faire saillir leau dune roche insensible? Escoutez, Madame, le peuple commence à murmurer la populace sesleve, & la Commune commence à se bander. Appaisez-les maintenant, si vous pouvez. On peut bien par trop irriter la patience du Commun, laquelle ainsi offensée, se change souvent en une fureur indomptable.
Scene septiesme, de lActe second.
Commune avec sa compaignie. Superiorité. Deffiance. Dame noble. Matrone rustique. |
CA, ça, voicy la Superiorité, voire la Superbité, je dy la Gouvernante, ou plustost la Renversante. Viençà, Madame, appelles-tu ceci gouverner? Prens-tu donc plaisir à nous faire mourir dune mort languissante? Dieu soit Iuge entre toy & nous, car tu nous fais grand tort de navoir accordé avec les Assyriens. Cest pourquoy Dieu nous a*livré en leurs mains, & personne ne nous ayde, quand nous tombons devant eux dune soif & destresse penible. Fay donques maintenant appeller tous ceux de la ville, à fin de nous rendre volontairement aux gens dHoloferne. Car il vaut mieux que nous soyons serfs, & benissions le Seigneur en vivant, que de perir miserablement en une liberté presupposée, & de tomber finalement en opprobre à tout le monde, voyant mourir devant nos yeux nos maris & nos enfans. Nous appellons aujourdhuy le Ciel & la terre en tesmoignage contre toy, & le Seigneur de nos Peres: lequel nous punit selon nos pechez, que nous voulons que la ville soit livrée és mains dHoloferne, à fin que la mort nous soit plustost abregée par le fil de lespée, que retardée par ceste soif ardente. Malheur à nous, malheureuses que nous som- [p. 43] mes! O mort penible & tardive! Ah mal cuisant & violent! Las! la langue seiche sattache au palais aride de nos bouches alterées!
Helas, cheres amies, vostre peine est tresgrande & griefve, il nest personne qui le peut niër. Mais la misericorde du Seigneur fidele est encore beaucoup plus grande, pour ceux qui se fient en luy. Il nayde quen necessité: Or la necessité est maintenant icy, que si la confiance y est aussi, son ayde ne faudra point de bien tost nous secourir, tenez vous-en toute asseurée, cest chose plus que certaine.
Par quels moyens, je vous prie? Vingt jours ne sont ils point desia passez, que leau se distribuë à mesures? Sen pourra-il bien encores trouver pour nous abbreuver une journée? Ie sçay que non: Quaydera donc vostre dire? Les paroles nentrent pas en la peau. Il faut quil y ait à boire pour arrouser nos corps alengouris, ou les ames suffoquées en sorriront. Qui nous apportera de leau? les ennemis? Ce sont ceux-là qui nous lempeschent. Ou le ferez vous par une ravine de pluyes? vous-mesmes navez pas ceste foy. Cuidez-vous donc faire service à Dieu, en faisant mourir par vostre obstination temeraire, tout le peuple dune mort languissante?
Las, mes bien-aimées & cheres amies! telle nest aucunement nostre intention. Aussi nest-il pas en nostre pouvoir destancher vostre soif amere, ne fust que les larmes de nos yeux, dune vehemence de lennuy que nous sentons, devinssent rivieres, mais cela ne se peut faire. Elles peuvent bien demonstrer la compassion que nous avons de vous, mais non pas assouvir vostre soif. Endurez encores cinq jours, en attendant la misericorde de Dieu. Peut-estre quil retanchera son ire, quil donnera gloire à son Nom, & nous delivrera de ce [p. 44] peril eminent. Nous ne pouvons aussi (à ce que ie voy) resister plus longuement. Que si ce terme se passe sans quil nous vienne secours du Seigneur, nous ferons selon que vous avez dit. Que chascun ce-pendant sen retourne à la maison, se mette à recoy, & prie le Seigneur, qui nous assistera.
O combien laffliction des petits touche peu le coeur des grands! Il semble quils se fient du tout en Dieu, tandis quils ont les caves garnies de plusieurs poinçons & vaisseaux de bons vins, mais sils avoyent aussi peu de vin que nous deauë, il apparoistroit bien tost quils se fient moins en Dieu, que nous ne faisons.
Ie vous en asseure, & vous promets, que les cinq jours passez, on leur fera bien chanter autre note.
Matrone rustique, à genoux. |
Ah! Seigneur Dieu! nous sommes pecheurs, tu es misericordieux, aye pitié de nous: Corrige nostre iniquité par tes verges, mais ne livre pas ceux lesquels invoquent ton sainct Nom, & confessent ta grandeur, és mains dun peuple qui ne te cognoist point, à fin quon ne die entre les Gentils, où est leur Dieu?
Nos pechez en sont cause, ô Seigneur Dieu. Tu nous punis justement, & nous souffrons à droit. Seigneur, nous perissons si tu ne nous aydes, Haste-toy donc, & nous ayde: Secoure-nous, ô Dieu, & noublie pas ta misericorde fidelle. Laquelle tu monstras à la dolente Agar, quand en craignant veoir, par faute deauë, la mort de son enfançon, elle apperceut par ta bonté la secrete fontaine de ta grace. Tu monstras aussi ceste tienne pitié à Samson, travaillé & alteré de soif, quand ta benignité fist saillir une eauë douce de la dent moliere dune orde maschoire dasne, à fin destancher la soif de son ame. Tu las aussi monstrée [p. 45] à ton ingrat peuple Israël, quand tu leur fis servir la dure roche, de fontaine liquide, abondante en eauë vive, pour un alegement de leur soif amere. Tu es, ô Seigneur, tout puissant & fidele, le mesme Dieu bening: Nous sommes aussi, helas! ton mesme peuple, bien quingrat; monstre toutesfois aussi à nous povres pecheurs taris & desolez, la grace superabondante de labysme immense de ta grande misericorde. Arrouse nous en, Seigneur pitoyable, à ce que les Gentils & payens, appercevant ceste tienne main tout-puissante, lapprennent à craindre, & que nous ainsi delivrées, puissions exalter, glorifier & magnifier ton sainct Nom à jamais.
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il, Seigneur Dieu.
LACTE TROISIESME REPRE- SENTE LENTREPRISE DE Iudith.
Scene premiere, de lActe troisiesme.
Iudith. Superiorité. |
MA tresnoble, honnorable & sage Dame, peut estre quil semblera chose estrange a vostre hautesse, quune simple bourgeoise, comme ie suis, ait prins la hardiesse de mander chez elle, celle qui a la souveraine superintendence de ceste ville, & que ie ne me suis plustost transportée vers vous, comme bien je lentendoye convenir, & lavoye aussi determiné de faire. Mais apres y avoir pensé de plus pres, jay changé ceste deliberation, de peur [p. 46] desmouvoir le peuple, & luy donner quelque occasion de mespriser le Magistrat. Car la chose de laquelle je veux parler à vostre hautesse, est dune grande faute commise par vous autres. Parquoy le peuple me voyant marcher vers lhostel de la ville, eust peu concevoir quelque soupeçon, & peust estre quà grand peine il eust sçeu estre destourné, sans trouble apparent, dentrer à la foule en la chambre collegialle. Il vous plaira donc mescouter, Madame: Le propos que vous avez tenu aujourdhuy devant le peuple, nest pas droit. Car pourquoy avez vous, en tentant lEternel, limité son aide & secours dun terme de cinq jours? La Creature doit-elle donner Loy à son Createur? Nostre follie peut-elle ordonner temps à la sagesse divine? Une telle temerité audatieuse serviroit-elle pour ladoucir? non vrayement, mais plustost à lenaigrir. Nous sommes helas! povres pecheurs, mais le Seigneur est bening & clement. Ayons donc repentance de ceste faute & abus: Humilions-nous devant la face de sa Majesté, & remettons à sa volonté, non à la nostre, le temps de nostre delivrance. Le Seigneur viendra & ne tardera point. Adjoustez seulement foy à sa parole. Il nous a preservez derrer, & de servir aux Dieux estranges, comme ont fait nos Peres. Et nous a fait la grace de lavoir seul servi & honnoré jusques à maintenant. Ne nous garderoit-il donc pas aussi de ne tomber, au vitupere de son Nom tressaint, pour estre en opprobre à nos ennemis? Parquoy, Madame treshonnorée, vous qui estes respectée de tout le peuple, luy remonstrerez de quelle patience & constance nos Peres (Abraham, Isaac & Iacob, aussi Moyse, Caleb, & tous les amis de Dieu) ont porté & souffert les afflictions & tentations: semblablement comment ils en ont tousiours à la fin obtenuë une issuë & delivrance salutaire. Et au contraire, combien miserablement les impatiens sont peris en leur infidelité & inconstance: Les uns consommez par le feu, les autres [p. 47] engloutis par la terre, ou bien outragez & devorez par les serpents venimeux. Si est-ce quil faut en toute maniere confesser, que nos forfaits sont sans comparaison beaucoup plus grands que la punition divine. Ceste punition donc, nous servira dinstruction, & non de perdition ou ruïne, si nous portons patiemment tout ce que Dieu ordonne, fait & permet venir sur nous. Cecy deviez-vous avoir remonstré au peuple, pour son salut, sans avoir si indiscretement prescrit à Dieu un temps prefix à leur destruction.
Il faut que nous confessions, que nous avons failli en cela, & que vostre propos est tant juste, chere soeur, que nous ne vous sçaurions reprendre dune seule parole. Aussi nest-ce point daujourdhuy que vostre sagesse est cogneuë, mais dés le commencement de vostre vie, tout le peuple a cognu vostre prudence, dautant quun bon coeur a esté formé dedans vous. Mais la Commune est fort pressée de soif, & nous a contraint de faire le serment que leur avons fait, lequel nous ne pourrions pas rompre. Mais vous qui estes femme devote, saincte & craignante Dieu, priez pour nous, à fin que le Seigneur nous envoye de la pluye pour remplir nos Cisternes, & que nous ne perissions point.
Si vous confessez mes propos estre bons & selon Dieu, jugez donc si ce que iay proposé de faire, nest aussi de Dieu, & priez luy, quil vueille confermer mon entreprise. Iay deliberé de faire un acte qui sera puis apres raconté en tous aages entre ceux de nostre nation. Tenez vous ceste nuict à la porte, quand ie sortiray avec ma servante Abra, à ce que le peuple, par quelque mauvais soupeçon, ne tasche dempescher mes desseings, mais vienne à en sentir tout bien, estant ainsi que mon entreprinse soit faite à vostre sçeu, & sous vostre licence. Vous ferez aussi prieres au Seigneur, quil luy plaise dicy à [p. 48] cinq jours (comme vous lavez determiné) regarder son peuple de son oeil pitoyable. Mais dautant que mon desseing est de si grand poids & importance tant dangereuse, quil nest licite de la communiquer, il vous plaira ne vous enquester de ce que ie veux faire, car aussi bien ie ne le vous declareray point, jusques à ce que jauray effectué ma deliberation. Seulement soyez ententifs à vacquer en Oraisons.
Il sera fait, chere Soeur. Vous plait-il autre chose?
Non, Madame honnorable. Allez en paix.
Demeurez en paix: Le Seigneur de paix soit avecques vous à la vengeance de ses ennemis.
Scene deuxiesme, de lActe troisiesme.*
Iudith. |
VOila un bon commencement, lequel augmente en moy lesperance que jay que mon entreprise prendra bonne fin. Mais où pourroit-on esperer de trouver un Magistrat tant discret, qui viendroit au mandement dune femmelette? endureroit destre reprins dune femme? & permettroit se conseiller, instruire & enseigner par une vefve? Vrayement ceste Superiorité se monstre telle, en recevant ma correction sans entrer en cholere. Ce que masseure du tout quelle aime la verité, cerche la prosperité de la Republique, plus que son honneur ou proufit singulier, chose certainement rare au monde pour le iourdhuy. Mais toy, Iudith, sçaurois-tu aussi donner raison suffisante de ton entreprise? Hola! Regarde bien à lentour de toy, avant que tu descouvres les secrets de ton coeur, que daventure il ny ait quelquun de la famille [p. 49] derriere lhuis qui tescoute. Non, il ny a personne. Voila lhuis bien serré. Me voicy maintenant seule & à part moy. Parquoy je veux encores une-fois avant le faict, examiner bien & profondement ma deliberation: La fin en est bonne, à sçavoir, lhonneur de Dieu, & le salut de nostre peuple. Mais le moyen pour y parvenir, à sçavoir, le mentir & la deception, est-ce chose juste? Pourroit bien aussi quelquun faire mal, à fin que bien sen ensuivist? Est-il donc possible que mensonge & abus plaise au vray Dieu & Pere fidele? La chose deffenduë par le souverain Legislateur, pourroit-elle bien estre licite? Il deffend au-moins de mentir & tromper? Il est ainsi. Mais pourquoy? Pour-autant que de soy-mesme cela est si pervers, que personne nen peut user à droit. Ou plustost, pource que les ignorans (qui sont les plus grands en nombre) nen sçauroyent bien user. Ceste raison derniere a bonne apparence de verité, mais lautre nulle: Iahel na-elle pas, à son grand honneur, abusé & deceu Sifara lorgueilleux? Et qui osera blasmer le mensonge & tromperie dont usa nostre mere Rebecca, pour frustrer Esau de la benediction paternelle? Cest chose certaine, que Dieu a fait de grands biens aux Sages-femmes en Egypte, parce quelles avoyent abusé de paroles controuvées ce grand Tyran, le Roy Pharaon. Vrayement, si le mentir & le decevoir estoit mauvais en soy, le bon Dieu ne lauroit point remuneré dun si grand bien. Il nest donc de soy ny mauvais, ny bon, ains tel quest lhomme qui en use. A sçavoir, bon au bon, qui sagement le met en oeuvre, & mauvais au meschant, qui en besongne imprudemment. Pourquoy doncques ne pourroy-je aussi maintenant mentir & decevoir ce cruel Holoferne à nostre salut? ===Il =Holofernes onder inktvlek]=== nous outrage manifestement, sans lavoir jamais offensé. Il nous fait la guerre en toute hostilité, sans raison quelconque, & non pas nous à luy: il nest rien [p. 50] plus clair. Bref, il sçait luy-mesme quil est nostre ennemi mortel, parquoy il se doit aussi bien garder de la fraude & ruse de tous ceux qui sortiront nos portes pour aller en son camp, que de nos forces & armes vengeresses. Or sil estoit ainsi, que Nabuchodonosor fust nostre Roy naturel & Seigneur absolut, & quil eust occasion legitime pour nous courir sus & faire la guerre, mon entreprise contre son serviteur seroit du tout inique, car personne ne peut resister, & moins tuer, son Souverain, encore quil fust mauvais. Mais il nest rien de tout cecy: Nabuchodonosor est un Tyran pervers, qui ne peut pretendre aucun droit sur nous. Voire un vray Dragon infernal, qui a lasché ce Loup acharné pour occire les Prophetes, meurtrir les preudhommes & devorer les simples brebis. Ne nous pourrions-nous donc legitimement opposer, soit par force ou par cautelle, à ces bestes devorantes. Qui doubte de lequité de ceste cause? La parfaite & bonne Loy de nature, mesme la Loy escrite de nos bons Ancestres, ne nous enseigne-elle pas quon peut franchement repoulser violence par violence? Et qui de nous-autres a jamais offensé ce Nabuchodonosor, ou son Holoferne? Personne. Ne le fait-il pas à nous? Vrayement si fait. Il nous est donc un Loup assaillant, lequel on peut à bon droit enchasser, prendre & tuer. Oseroit bien quelquun nier cela? je ne le pense pas, Desisteroy-je doncques de la mienne bonne & saine entreprise, de laquelle je sçay asseurement que lentier salut de nostre ville despend? Ia nadvienne: je la poursuivray, & ce me sera une gloire, & à Holoferne une lourde faute à son grand vitupere, sil advient que le Seigneur permet (comme fermement je le croy) quil soit deceu par une femme. Cecy redondera aussi au salut de nostre Nation, & servira pour magnifier le nom de lEternel, de ce quil aura desfait un guerrier tant belliqueux & redouté [p. 51] par un instrument si fragile comme est la main dune femme, renversant & aneantissant par elle, lorgueil superbe dun homme audacieux. Parquoy je concluray encore au Seigneur, que ma deliberation pourpensée est chose juste & bonne. Et pour lexecuter, je men vay ores enjoindre à ma chambriere Abra, quelle sappreste, & avec cela tout ce que nous aurons de besoing: Abra, Abra, vien-çà tout incontinent.
Scene troisiesme, de lActe troisiesme.
Abra. Iudith. |
Me voicy, ma Dame, vous plait-il quelque chose?
Tu sçais que je taime, & que je me fie en toy, par ce que jay experimenté ton service, & ta grande fidelité.
Ie vous en remercie, ma Dame, cest du bien de vous, & me faites mieux que je ne merite.
Veux-tu doncques encores demeurer avecques moy, ou ten veux-tu aller & me delaisser?
Delaisser, ma Dame? Non en bonne foy, si ce nest par la mort de lune de nous deux.
Men puis-je fier en toy, Abra?
Avez-vous donc quelque soupeçon de moy, ma Dame? Si est-ce que je ne pense, vous en avoir donné tant soit peu doccasion, aumoins à mon escient.
Non, mon Abra, mais il y a une chose de grande conse- [p. 52] quence, laquelle jay entreprins dexecuter au Seigneur, sans la communiquer ny à vous, ny à quelque ame vivante. Veux-tu bien, avec ferme fiance en Dieu, massister à cela?
Ie sçay, ma Dame, que vous craignez le Seigneur, & luy obeïssez en tout, parquoy je vous obeïray aussi en tout ce que me commanderez.
Va donc en mon cabinet & garde-robbe, sans quaucun de la famille en sçache rien, & mappreste incontinent les plus precieux habits que jay, mes brasselets, oreillettes, & mes anneaux, ma coiffe, mon carquan, & toutes mes autres gentillesses & menutez qui servent de parement. Commande aux servantes daccoustrer le baing avec toutes sortes dunguents precieux, & herbes odoriferantes Puis tu appresteras secretement un flascon de vin, un petit vaisseau dhuyle, un gasteau, du pain impolu, & du fourmage, pour faire encore ce soir ce que je te diray.
Ie le feray en toute diligence, ma Dame.
Scene quatriesme, de lActe troisiesme.
Iudith prosternée en terre, mettant de la poussiere, ou bien des cendres sur sa teste. |
SEigneur Dieu, de mon Pere Simeon, qui peux tout ce que tu veux, Regarde maintenant larmée des Assyriens, comme tu fis jadis lexercite Egyptien. Ceux-là persecutoyent & poursuivoyent tes serviteurs à pied, à char & à cheval, aussi sont ceux-cy. Mais tu les renversas par ta main tout-puissante, fais aussi le semblable de ceux-ci, Seigneur Dieu des batailles. Esten ton bras, & sanctifie ton Nom glorieux [p. 53] par cest incirconcis, qui de son bras charnel pretend le prophaner. Fay que ses yeux lascifs soyent esblouïs par la splendeur de ma chasteté. Donne force à ma foiblesse, à fin de pouvoir brider son audace en deshonneur. Ce questant fait par une femme, redondera dautant plus à lhonneur de ton Nom. Car ta force ne gist point en multitude, ne ta puissance en gens robustes & orgueilleux, mais loraison des humbles test agreable. O Dieu des Cieux, exauce la priere de ton humble servante, qui se fie en toy: Aye souvenance de ta saincte alliance: Mets en ma bouche la parole de ta sagesse: Et conferme les desseings de mon coeur, à ce que ton tabernacle, Seigneur, demeure impollu, & que tous peuples sçachent que tu es seul Dieu, & quil ny en a point dautre.
Scene cinquiesme, de lActe troisiesme.
Abra. Iudith. |
LE baing sappreste, & sera chaud avant que vous, ma Dame, serez devestuë. Vous y pourrez entrer quand il vous plaira: le temps est bref pour faire ce soir quelque expedition. Toutes les autres choses que ma Dame mavoit aussi enchargées, sont toutes prestes.
Cela va bien, ma fille. Tout ce que je te commande, se fait, je lexperimente en toutes choses. Tu trouveras aussi (en cas que le Seigneur me garde) que tout cela se fera, quavec raison tu me sçauras requerir.
Scene sixiesme, de lActe troisiesme.
Curiosité. Abra. |
DIeu vous gard, Abra. Vous estes certes lhonneur, lutilité & le soing de la maison de Iudith, selon le [p. 54] bruict commun. La servante est icy comme la maistresse. Toute bouche louë & prise sa renommée, & mesmes on lexalte és portes & assemblées, de sorte que le Magistrat se trouve & se transporte aucunesfois envers elle. Ce quest encores aujourdhuy advenu, à ce que jentens. Dont chascun est bien esmerveillé, & dit-on, quil y a quelque mystere. Lun devine cecy, & lautre conjecture quelque autre occasion, Mais je ne pense pas quils en sçachent quelque chose. Vous seule, Abra, entendez, comme je croy, le secret.
Non fay certainement.
Comment seroit-il possible? Iestime que vostre Dame nait aucune chose sur le coeur quelle voulust vousceler, tant elle se fie en vous, & tant elle vous aime. Si vous vouliez vous fier en moy, vous en sçauriez bien à parler, Si est-ce que vous pouvez bien estre asseurée, ma chere Abra, en cas que vous me le dites, quil nen sera non plus de bruit, que si vous leussiez dit à une pierre.
Vous vous abusez mamie, en deux manieres, à sçavoir, en cela que ma Dame descouvriroit ses secrets à sa chambriere, elle est par trop prudente: Aussi en cela que je divulgueroye son secret, en cas quil me fust cognu, car quant à cela, ie suis trop fidele. A Dieu vous dy.
Comment, ma soeur, vous en allez vous desia?
Iay la dedans prou daffaires, & icy rien qui soit. Vous avez plus beau loisir destre oisive que moy, parquoy je men vay à ma besongne, vous pouvez, sil vous plaist, cercher compagnie moins occupée.
[p. 55]
Scene septiesme, de lActe troisiesme.
Vefve mondaine. Curiosité. |
VOus voicy donc, Dame enqueste-tout, Dame sçay-tout, & Dame à milles-yeux?
Si ie nestoye icy ou ailleurs, Commere, je seroye, sans doubte, perduë.
La perte, à vray dire, en seroit bien petite. Mais, ma Commere, ie sçay maintenant quelque chose, à vous incognuë, ce que peu souvent advient.
Sçavez vous donc loccasion, pourquoy Iudith a mandé le Magistrat à sa maison? Cela mest encores celé.
Et quoy? en avez vous aussi senti le vent? Ba, je croy que vous avez chez vous une chambre Virgilienne, aux quatre coings de laquelle vous pouvez veoir tout ce qui se passe és quatre parties du monde. Ou il faut que vous ayez quelque familier, qui vous revele & rapporte toutes choses.
Ny lun ny lautre. Mais est-ce merveille que ie sçay ce qui se fait és maisons dautruy, veu que ie suis peu souvent au logis, & que ie neglige mes propres affaires, pour menquester diligemment des negoces dautruy? Ou ignorez-vous cela?
Non, ie le sçay tresbien. Et cest par cela quil ny a rien que moins vous cognoissez que vous-mesmes, & voz affaires propres.
Ca la main, ma Commere, car vous apprenez diligemment [p. 56] lart dont je suis desia maistresse. Le fourgon ne veut-il pas tousiours estre meilleure que la paelle? Mais dites moy, Commere, sçavez vous pourquoy cest, que la Superiorité a esté chez Iudith?
Cela est bien à deviner. Sa presomption aura mandé le Magistrat pour lune ou lautre frivolle. A laquelle la Superiorité, par sa folie, aura voulu adjouster foy, & ainsi avec diminution de son authorité, elle aura honnorée de sa presence ceste belle Damoiselle.
Pourquoy interpretez vous tousiours le tout au pis?
De peur quil ne semble que je soye la pire.
Scene huictiesme, de lActe troisiesme.
Fama. Curiosité. Vefve. |
HO! vous ne sçavez, Compaignes, vous ne sçavez: Iudith est menée prisonniere avec Abra sa chambriere, au camp de lennemy.
Comment seroit il possible? Elle estoit encores cest apres-disné à la maison. Voire, jay moy-mesme parlé à Abra il ny a point trois heures.
En un heure ou deux se peut faire merveille. Il en est comme je vous dy.
Quel malheur les à fait aller là?
La nuict sapprochoit, quand Iudith, parée comme une Deësse, vint avecques son Abra à la porte de la ville. A laquelle estoit la Superiorité, bien estonnée, de la celeste beauté de Iudith. Incontinent souvrit le [p. 57] guichet, puis la Superiorité luy donna la benediction, & le peuple cria: Ainsi soit-il, Ainsi soit-il. Elles sortoyent toutes deux, & sur le champ surent saisies de la sentinelle adverse, & menées au camp de lennemy.
Voila un cas bien estrange. Mais dites-nous, je vous prie, chere Compaigne, Fama, qua fait le Magistrat chez Iudith? A quoy sert ceste sienne parure? Que veut ce sortir de nuict? Il faut vrayement quil y ait quelque certain mystere, puis que la Superiorité sen mesle.
Ie nen sçay rien, & si nen ay aussi entendu mot ne demy.
Seroit-ce pas pour traiter de paix?
On trouveroit bien des hommes sçavants pour faire cela.
Les femmes y sont quelque fois plus propres. Specialement telles.
Voire pour appaiser Mars à la façon de Venus. Peut estre que son lict solitaire luy commence à ennuyer. Qui sçait quelle compagnie elle y va cercher.
Cest de vostre creu cela, ma Commere.
Telle chose ne luy touche de rien.
Ce sera doncques ce que je gageray.
Quoy, je vous prie?
[p. 58]
Quelle veut fuïr ceste soif mortelle, pour boire franchement le vin qui vivifie.
Sa chambriere estoit chargée dun flascon de vin.
La Superiorité nauroit garde dainsi la laisser sortir, sil ny avoit quelque autre chose.
Elle peut avoir persuadé au Magistrat, qu Holoferne, ô Dieux! senamourera de sa beauté, & que pour lamour delle, il prendra la ville en grace & mercy.
Cela ne seroit pas chose estrange.
Soit comme il voudra. Telle hardiesse nappartient pas à une femme honneste, & pourtant dy-je encore, quelle nest pas si saincte que vous lestimez. Car certes, si elle estoit telle, elle aimeroit mieux mourir honnorablement avecques nous dedans lenclos de la ville, que daller mettre aux champs sa chasteté en un peril si eminent. Iy mettray ma teste, quavant le jour de demain, vous en serez des miennes.
Iespere que non, & il men desplairoit de sa part. Fama, vole une fois pour nous mettre hors de doubte & appaiser nostre envie.
Il sera fait, & plustost que ne pensez, car pour Fama il ny a porte ou fenestre close.
[p. 59]
Scene neufiesme, de lActe troisiesme.
Garrulité. Curiosité. Vefve. Fama. |
QUi que je ne trouve à la porte, ou par les ruës, au moins ie vous y trouve, mes amies.
Nous apportez vous nouvelles de Iudith?
Ie vien pour en apprendre quelque chose.
Et bien Fama, estes-vous desia là?
Ie sçay maintenant comment Iudith & sa chambriere ont esté menées prisonnieres au camp. Lavez vous entendu par ceste-cy?
Non certes. Cest de vous que nous attendons de lentendre. Or ne tardez pas, ie vous prie.
De la porte elles marchoyent tout droit & hardiëment vers la sentinelle.
Quelle sentinelle?
Et du camp, jasarde: Nentendez-vous pas cela? Passez outre, Fama.
La sentinelle les saisit, & leur demanda: qui estes vous? Où allez vous? Et quapportez vous?
Que respondoit-elle, ie vous prie?
Ie suis (dit Iudith) une fille des Hebrieux, & me suis [p. 60] retirée davec eux, pour sauver ma vie. Car jay preveu quils vous seront livrez en pillage, dautant quils sont si fiers & hautains, quils vous desprisent sans se vouloir rendre à vous, pour trouver misericorde. Par quoy je pensay à part moy.
Et dea, est-ce icy la vertueuse Dame, qui vous sçait si bien mentir en maistre?
He! laissez à Fama parachever son propos. Quest-ce, chere amie, quelle pensoit?
Ie pensoye (dit-elle) je men iray vers le Prince Holoferne, pour luy descouvrir leurs secrets, & luy monstrer le moyen par lequel il pourra bien tost, & sans coup ferir, prendre & dompter ceste ville.
Il ny a rien que je croiroye mieux que cela, sçavoir est, quelle est sortie pour se sauver, & trahir toute la ville. Il en adviendra tout ainsi, que je vous lay predit. Fi, fi, voila vostre saincte Iudith. Nest-ce pas ceste-cy que vous estimiez tant?
Vous interpretez tousiours toute chose en bien.
Ainsi luy advienne. Vous voulez dire en mal.
La sentinelle loüoit sa prudence.
Voire, sa folie.
Ils sesmerveilloyent tous de sa beauté, & disoyent: Vous avez, ô Dame, vostre vie sauve, & serez, asseurez vous-en, fort agreable & bien venuë à nostre vice-Roy.
[p. 61]
Ne lavoy-je pas bien dit? Une belle face fait bien vendre une vile peau.
Comment succeda cest affaire, Fama?
Ils la menerent au pavillon dHoloferne, & luy raconterent ce quils avoyent entendu de sa bouche. Lequel neust si tost veu sa tresbelle face, que son fol coeur ne fust espris de son amour. Qui est celuy (disoyent ses Satrapes) qui ne combattroit ce peuple, pour les belles femmes quils ont?
Mais que dist alors Holoferne?
Je men vay le descouvrir, & ce-pendant vous donneray la bonne nuict.
He! & que sera-ce de cecy?
Quelle autre chose, quun plaisir voluptueux pour elle, & un desplaisir lamentable pour nous? A Dieu, je nen veux plus ouïr parler.
Qui est de mauvais naturel, ne peut jamais presumer quelque bien daucun.
Celuy qui juger veut à droit, la fin de loeuvre attendre doit.
[p. 62]
LACTE QUATRIESME EXPRI- MANT LEXECUTION DUNE entreprinse dangereuse.
Scene premiere, de lActe quatriesme.
Pallaca Holoferni. Fama. |
COMMENT Fama, vous voicy derechef: Il mest advis qua vous seule est permis destre soudain dedans la ville, puis tout subit au Camp, & à coup ailleurs. Que disent, ie vous prie, les Bourgeois de Bethulie? Veulent-ils plustost obstinément mourir de soif, que se rendre humblement à la mercy de mon Seigneur, & jouïr librement de sa grace?
La Commune voudroit bien, il y a ja long temps, estre delivrée dune soif si amere, mais la Superiorité demeure opiniastre. Dites-moy, Madamoiselle, comment vous va de la femme Hebrieuë?
Sçavez-vous aussi à parler de ceste fine & double piece? le voudroye quelle fust au milieu de la mer, & quelle eust une meule au col.
Comment cela?
Il ny a icy que trop de femmes sans elle. Si tost quelle fust venuë en la presence de mon Seigneur, je fus bannie de son coeur. Il se changea tout incontinent comme dun Lyon cruel en un doux agnelet. Il faut que ce soit une sorciere.
[p. 63]
Racontez-moy, je vous prie, comment le tout sest passé. Peut-estre quelle porte, comme un Basilisque, le venin en son regard.
Ha, ha, regard, ce nest pas cela seul. Ceste femme vous sçait jargonner comme un Paroquet. Elle fut menée devant mon Seigneur, lequel estoit assis en son pavillon eslevé, sous un magnifique Ders de pourpre, orné dor, desmeraudes, & autres pierres precieuses. Où elle luy jetta une oeillade attrayante, se prosternant en terre, & vous tenant une contenance & geste ne plus ne moins, comme si elle y fust venuë pour jouër quelque farce. A quoy elle sestoit parée comme une Nymphe & Deësse.
Que fist lors Holopherne?
Que fait le fer quand lAimant en approche?
Il se laisse attirer de lAimant, & y demeure pendant.
Tout ainsi se laissa cest homme tant grave, attraire dune si vile putain, sy adonnant de coeur & dame. Il la fit lever de terre, la regarda benignement, & parla, comme en flattant, à ceste Damoiselle: Aye bon courage, que ton coeur ne soit point estonné, car je ne fey oncques mal à personne qui se voulust assujettir volontairement à Nabuchodonosor. Le mespris de ton peuple envers mon Seigneur, à causé ceste guerre à lencontre deux. Or dy moy, pourquoy tu tes enfuye davec eux, & tes venuë rendre à nous.
Iay grand envie dentendre quelle fut sa response.
[p. 64]
Quelle autre, que dune cauteleuse flateresse.
Que dites vous? je lestimoye une Matrone honnorable.
Et moy, je la tien pour une putain double, caute & rusée. Elle parla du Roy Nabuchodonosor en toute reverence, comme dun Dieu, & ne faillit aussi de priser hautement mon Seigneur en sa presence, comme seul excellent en lart militaire, voire tresexpert en toutes sciences, admirable en prouësses, & puissant par dessus tous les autres Princes du Roy. Ceste flatterie lenlaça subitement en ses rets. Nous sçavons (disoit-elle en outre) les propos dAchior, & de quelle peine mon Seigneur la menacé. Il appert aussi que nostre Dieu est griefvement offensé par les pechez de nostre peuple, de sorte quil a predit par ses Prophetes de les abandonner. Et mesmes, ils sçavent bien*quils ont forfait grandement, ce qui leur donne au coeur une frayeur angoisseuse. Outre-ce, ils sont affligez si extremement dune soif ardente, quils ont deliberé de tuer tout leur bestail, pour en boire le sang (encore que ce leur soit une abomination) & de consumer toutes les choses qui leur sont deffenduës de manger en la Loy de nostre Dieu. Que pourroit-on attendre de cecy, sinon que nostre Dieu les livrera en destruction? quils tomberont és mains de vous, mon Seigneur? & que lEternel nostre Dieu, rendra par vous la victoire parfaicte? Cecy a preveu vostre servante, & ma fait fuïr davec eux, pour vous venir annoncer toutes ces choses. Or moy, qui suis vostre servante, crain le Seigneur, & le sers, mesmes icy aupres de vous. Parquoy vostre servante sortira de nuict pour aller en la vallée prier le Seigneur, lequel me revelera le temps quil punira les pechez de son peuple. Et adonc je viendray, [p. 65] mon Seigneur, le vous declarer, & vous meneray par le milieu de Iudée, jusques en la cité de Ierusalem, & poserez vostre siege au milieu dicelle, menant tout le peuple dIsrael comme brebis qui nont point de pasteur. Et mesme ny aura un seul chien qui abbayera contre vous. Car ces choses mont esté revelées & denoncées par la providence de Dieu, lequel irrité contre eux, ma envoyée vers vous, pour les vous exposer.
Voila certainement une vraye adulation.*Et que respondoit-il à cela?
Rien autre (icy dit entre nous) sinon ce quun Prince de fols devoit respondre: Il estoit tout estourdy & transporté dune louange si flatteuse, voire pris en ses filets amoureux. Car ce blasonnement blandissant ne pleut seulement à luy, mais aussi à tous les gens. Ils exaltoyent jusques au ciel la prudence de ceste causeresse affectée, disant entre eux: y a-il bien encore une femme si belle de face, & si vive desprit que ceste-cy, sur toute la terre? Bref, elle seule estoit belle & sage. Il ny avoit plus nulle comparaison de ceste Damoiselle à moy. Mais jattendray mon tour, & luy rendray son salaire, si je puis.
Ma foy, ce ne fut pas petit heur pour elle. Poursuivez le conte.
Il adjoustoit foy à ses paroles, loüoit son entreprise, & promettoit de la faire grande en la maison du Roy, en cas quelle accomplist sa promesse.
Je vous remercie, Madamoiselle, de ce recit. Ien ay mon saoul, & men vay vers mes amies, mignonnes [p. 66] & compaignes, pour leur en faire part. O quelles seront bien esbahiës!
Scene deuxiesme, de lActe quatriesme.
Abra. Pallaca. |
QUi auroit osé esperer une si amiable bien-venuë pour une Matrone prisonniere?
Et de qui seroyent recusées les fines & effrontées putains comme elle est?
Quoy! y a-il là quelquun? O Madamoiselle, nayéz pas telle opinion de nous.
Si vostre Dame ne cerche le jeu damours, à quelle fin vient-elle donc icy tant fardée, & superbement parée? Qui a mandé icy ceste sorciere dhommes? Qua elle à faire icy? Na-elle plus de besongne chez soy?
Ce quelle y a à faire, mest incognu, Madamoiselle. Mais quelle ne demande aucune accointance dhomme, de cela suis-je bien asseurée.
Celle qui ne demande point le masle, doit demeurer en sa maison.
Elle a icy à faire.
Voire avec hommes, pour captiver leurs coeurs, les rendre fols, & les priver de leur bon sens. Et va, va, vous nestes quun tas de courtisanes lascives.
[p. 67]
Scene troisiesme, de lActe quatriesme.
Abra. |
CEste femme semble estre insensée. O quelle cognoit bien peu ma Maistresse! Il faut que ce soit la concubine dHoloferne, de qui elle craind perdre la faveur, à cause de la beauté de ma Dame. Mais quand tout est dit, je ne sçay quelle chose la peut avoir meuë de venir icy. Si est-ce quelle craind Dieu, parquoy je tien pour tout asseuré, quelle la fait, non selon le sien, ains suivant le vouloir de Dieu. Il est avec elle, je le voy: car il luy a fait trouver grace devant le Vice-Roy. Ne la fist-il pas mener courtoisement au lieu où estoit sa vaisselle dargent: & commanda quon nous apprestast illec à manger de ses viandes, & quon nous fist boire de son vin? Mais quelle pieté a monstré ma Dame en cest endroit! Il ne mest, disoit-elle, pas licite selon nostre Loy, de manger de vos viandes, mais je mangeray de ce que jay apporté quant & moy. Lors Holoferne luy dist: Et quand ce que vous avez, defaudra, que mangerez-vous adonc? Si le Seigneur vit, disoit-elle, je nauray point achevé de manger ce quejay, que le Seigneur naura fait par ma main tout ce quil a deliberé. Seigneur Dieu, que peut estre cecy? Et pourquoy peut-elle avoir requis de pouvoir aller de nuict prier hors du camp? Ce quaussi luy a esté octroyé.
Scene quatriesme, de lActe quatriesme.
Iudith. Abra. |
Où es-tu, Abra?
Me voicy, ma Dame.
[p. 68]
Allons faire nos prieres & oraisons en la vallée de Bethulie, aupres de la fontaine, en laquelle aussi ie me veux laver.
Ie vous suivray, ma dame, car iapperçoy que toutes choses succedent bien à ceux qui craignent Dieu.
A quoy lapperçois-tu, Abra?
Pourroit quelquun attendre de lennemy telle caresse, courtoisie & humanité? Ie cuidoye, voire craignoye, quon vous eust traitée vilainement, ma Dame, & ie voy au contraire, quaucun mal ne vous advient. Et que plus est, quon vous permet aussi de passer de nuict, sans empeschement ny encombrier quelconque, les gardes du Camp.
Qui en Dieu se fie, est bien-heureux. Et à qui Dieu veut aider, nul ne luy peut nuire. Cecy a monstré tousiours le Dieu fidele à ceux qui se confioyent en luy. Et cecy nous monstre aussi maintenant benignement sa grande bonté. Dequoy il nous convient le remercier & linvocquer dune ferme confiance. Voicy la fontaine, lavons nous.
Apres sestre lavées, se mettent à genoux. |
O Dieu de nos Peres, beneit soit ton sainct Nom, de ce que tu as daigné inspirer ton indigne servante, dentreprendre chose qui tende à la delivrance de ton peuple oppressé, à labaissement de tes ennemis hautains, & à la gloire de ton Nom magnifique. Renforce aussi maintenant, ô Seigneur, mon coeur, & execute par ton bras puissant en moy, lacte, dont mesme tu as formé en moy le vouloir: Seigneur, secoure-nous. Tu veux & peux seul aider à tous ceux qui se deffient [p. 69] deux-mesmes, & se confient du tout en toy. Ainsi soit-il.
Escoute Abra: la tentation est ores prochaine, maintenant sera esprouvée ta fiance en Dieu, & ta loyauté envers moy. Porte-toy doncques droitement & constamment: car en ceste nuict lentreprinse sera tentée.
Ah! chere Dame, que sera-ce?
Ne crain point, Abra, ains jette avecques moy ta fiance en Dieu, qui par nous executera ceste nuict chose grande.
Commandez seulement ce qui est en mon pouvoir, & iobeïray, encore que ce fust daller à la mort.
Cest aujourdhuy le quatriesme iour que nous sommes icy, & tu scais que Dieu nous a gardées chastes & impolluës. Holoferne a fait apprester pour ce soir un convive, & ma mandé, que ce seroit grande vergogne aux Assyriens, de laisser en aller davec soy une femme, sans communiquer avec elle. Parquoy il ma requis daller volontairement vers luy, & ne desdaigner sa couche, & quà cest effect iallasse souper ce soir avecques luy, pour boire le vin joyeusement.
Helas, ma Dame! Cest ce que dés le commencement jay tousiours craind avec une anxieté douteuse. Ah, en sommes nous là? Quelle response luy a baillé ma Dame? Le prier des grands est commander à bon escient. Et puis, ma Dame est en ses mains.
Non pas, ains és mains de Dieu.
[p. 70]
O ma Dame, je ne voy icy point dissuë pour nous.
Si fay bien moy. Fie-toy en Dieu, il y pourvoira. Au plus grand peril le plus souvent son assistence apparoist.
Mais qua respondu ma Dame, au Chambrelan Bagos?
Qui suis-je moy (fut ma parole) que je refuseroye quelque chose à mon Seigneur? Ie feray tout ce que luy plaira. Ce qui plaist à mon Seigneur, cela mest aussi agreable. Voila ma response, Abra. Or tu feras ce que je te diray: Nous avons la viande que ce soir je dois manger à sa table, je sçay que tu las apprestée avant que de venir icy, parquoy tu nas que faire là dedans. Car là où je seray assise à table aupres de luy & ses Capitaines, il ny aura faute de serviteurs. Tu demeureras doncques devant la tente, en laquelle Holoferne dort, où tu ne feras rien quattendre ma venuë. Pren garde à cecy, Abra, sans y faillir aucunement, ne tamuser à quelque autre chose, dautant que Dieu, nostre Cité & moy te sommes en recommandation.
Il sera fait, ma Dame, fiez vous y hardiement.
Aussi fay-je, & men vay là dedans. Seigneur, dresse mes pas.
Scene cinquiesme, de lActe quatriesme.
Abra. Pallaca. |
Seigneur Dieu, en quel peril est ma bonne Dame!
[p. 71]
Elle en sçaura bien tost à parler, ie ten asseure.
Ie ne parloye pas à vous, Madamoiselle.
Ie parle à toy, belle Dame, orde maquerelle que tu es. Ne sçavois-tu trouver autre foire pour vendre une si jente Courtisane?
Ie ne me mesle pas de tel affaire, Madamoiselle. Ma Dame est femme honneste, mais vous en dites ce quil vous plait.
Ce quil me plait? Il me plairoit bien de te prendre une fois par ta teste teigneuse, si ie navoye horreur de me harper à une tant vile goujarde. Ose-tu bien me nier ce que ie voy devant mes yeux? Ta belle Dame (est-ce honneste que tu lappelles) nest-elle pas assise là dedans à la table de mon Seigneur, banquetant avecques luy? Nest-ce pas là lavant-jeu damourettes? Vah! quil me faut veoir & souffrir cecy dune chienne Hebrieuë! A my-nuict entre ses bras, & cela souloit estre ma place. Hei! Sil estoit en mon pouvoir, ie la traineroy du lict par ses vilaines tresses. O si on ne me fermoit hors de la chambre, ie gage bien que ie luy monstreroye à beaux coups de poing, que cest denforceler lamy dun autre. Mair cest en vain, on a deffendu à la garde de me laisser entrer. O quelle triste departie me causera la venuë de ceste putain Iudaïque! Il maimoit comme son coeur propre, il ne pouvoit estre sans moy, & faisoit tout ce que ie desiroye, souhaitoye & imaginoye. Mais si tost que ceste lice Israëlite*est entrée chez luy, iay esté abandonnée & bannie de [p. 72] luy. Souffriroy-je ceste injure? Ne me vengeroy-ie pas de ce tour despiteux? Vrayement si feray, encores que je luy deusse faire avaller un morceau, apres lequel elle nen gouteroit point dautre. Mais qui pourroit endurer telle chose? O Holoferne, je nattendoye pas cecy de vous! Comment pourroit aussi un homme eschapper les rets de lattrayante flatterie dune Courtisane tant caute, double & rusée quest ceste-cy? Parquoy ie luy pardonne & quite la faute, mais à elle, non. le luy feray quiter la vie, sil mest possible.
Scene sixiesme, de lActe quatriesme.
Abra. |
LA se peut veoir, quels troubles engendre lamour charnel. O combien la jalousie est vindicative! Ceste femme enrage & creve dire. Son coeur inconstant ne permet pas que le corps soit quelque part à repos. Elle craind là où il ny a que craindre. Ma Dame ne cerche pas tel party, mais le fol amour est tousiours plein de soupeçon. Holoferne, à dire vray, se monstre un peu trop inconstant: mais qui est lhomme qui nen face ainsi? La femme veut estre trompée, qui adjouste foy au beau parler des hommes: car si tost que la volonté est accomplie, lamour est esvanouï. Adonc voudroit-on veoir transformées en liévres fuyarts, celles que paravant on adoroit, caressoit & cherissoit comme Deësses. Tout amour humain est ainsi que lhomme mesme, variable & inconstant. Celuy qui aime quelque personne, est incertain sil sera aimé damour reciproque. Et sil advient quelque fois quils sentrayment du commencement, cela bien souvent ne dure guere, ains se tourne communement en une haine fascheuse. Alors le baston separe, comme on dit, ce que Venus avoit assemblé, & à donc vient-on à chanter, pour un plaisir mille douleurs, sentant pour une [p. 73] courte joye, une longue peine: pour un faux plaisir, un vray desplaisir: & pour une amitié temporelle, une malvueillance eternelle. Il en va tout autrement de lamour quon a envers Dieu: La personne qui aime Dieu, est asseurément aussi aimée de Dieu, ouy dun amour plus ferme. Cecy est chose certaine, car cest amour de Dieu est, comme la bonté eternelle, entierement immuable. Quelle comparaison y a-il donc de la beauté fragile & plaisir volage des viles creatures, à la beauté durable & joye perpetuelle, de la tresdigne, tout-puissante & souveraine bonté, laquelle mesme est Dieu? Nulle. Nest-ce donc pas une folie insensée, que lhomme donne plustost son coeur à une personne desloyale, vile & perissable, quau Createur eternel, tresdigne & tout loyal?
Scene septiesme, de lActe quatriesme.
Abra. Iudith. |
HOla! Ce sont coups que joy. Paix! voicy ma Dame qui vient, & quoy?
Viste, Abra, fourre cecy en ta malle.
Ai-my, ma Dame, cest une sanglante teste dhomme!
Tay-toy. Fourre dedans. Suy & cache ta malle sous ta robbe, tant que nous ayons passé les gardes. Le Seigneur aujourdhuy a besongne* puissamment au salut dIsraël. Tout va bien encore, nous sommes passées le corps de guarde, & nous voicy pres de la sentinelle, laquelle aussi ne nous dira rien, cuidant que nous allions àlaccoustumé à nos oraisons & prieres.
Il nous voit bien, ma Dame, & nous laisse passer.
[p. 74]
Dieu est avecques nous, qui sera contre nous? Nous approchons la porte. Hola, Portier? Viste, ouvre incontinent, ouvre sans aucun dilay.
Ils nous oyent & vous cognoissent, ma Dame. Ioy les clefs à la serrure. Voila la porte ouverte.
Loüé soit le Seigneur, qui nous a gardées en allant & retournant, qui par moy a executé son entreprise, au salut de son peuple, & à la destruction de leurs ennemis.
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.
LACTE CINCQUIESME REPRE- SENTE UNE VICTOIRE merveilleuse.
Scene premiere, de lActe cincquiesme.
Curiosité. Fama. |
CEST merveille que Fama tarde tant à venir vers nous. Elle a toutesfois semé quelque bruit du retour de Iudith. Ha! voila quelle vient.
O que vous mattendez en grande devotion, Ne faites vous pas, ma Compaigne?
Tout ainsi que le patient ou malade attend le Medecin. Estant en bonne convalescence, il ny a personne qui demande quelque alteration en son corps. Mais [p. 75] quand on est tourmenté de quelque maladie penible, cest alors quon est bien curieux. Et qui est celuy qui nattend alots quelque changement? Ie dy, changement de maladie en santé? Voila, chere Compaigne, la cause pourquoy tant je tracasse, trote & cours à la porte, & deçà & delà. Qui est-ce aussi qui nauroit maintenant envie dentendre quelques bonnes nouvelles? Ne sommes-nous pas au milieu des plus grands perils? Ce fervent desir, ô Fama, vous ouvre deux fois autant doreilles que vous avez de langues. Et cecy vous charge aussi de tant de peines.
Il est ainsi, & notamment en temps de guerre, comme maintenant. Alors je nay aucun repos de jour ne de nuict.
Adonc vous nous apportez & amenez des sacs & des navires pleins de nouvelles, voire des bourdes à chartées.
Que je ne sonne pas tousiours verité, la faute nest pas mienne.
A qui donc?
Au peuple.
Vostre fait dependroit[*?r?]-il de la faute ou de labus du peuple?
Ne feroit-il point? Les oreilles du peuple sont dun naturel bien different. Ce que ie dy au gré dune oreille, cela desplait à lautre. Et de ceste diversité se distille alors (comme dune fournaise dAlchemiste à [p. 76] plusieurs alembiqs) le retentissement divers des bouches du peuple. Chascun divulgue le bruit qui vient de moy, à la fantasie. Car tout ainsi quun chascun voudroit bien veoir la chose, ainsi est-ce quil la raconte aux autres, y adjoustant tousiours, ou en diminuant à son appetit, voire la depeind aussi de telles couleurs, qui mieux luy plaisent. Apres quoy chascun la croit encore, comme volontiers il la verroit.
Vostre dire a bonne apparence de verité, Fama. Mais dites-moy ma favorité, quest-ce que Iudith a expedié, jay grand envie de le sçavoir.
Oyez, la trompette de la ville sonne, elle-mesme le viendra racomter. Voicy la Superiorité, & voila Iudith aussi. Escoutons la harangue quelle fera.
Scene deuxiesme, de lActe cinquiesme.
Iudith. Superiorité avec son train. Commune. Dame noble. Matrone rustique. Curiosité. Fama. Abra. |
BEnissez & louëz le Seigneur nostre Dieu, qui ne delaisse jamais au besoing ceux qui ont leur refuge à luy, & se confient en sa parole. Il na point destourné sa misericorde de la maison dIsraël, mais a par ma main navré en ceste nuict nos ennemis. Voicy la teste dHoloferne, le General de larmée des Assyriens. Voila aussi la garniture de son chalit, auquel il dormoit en ses yvroigneries, & auquel le Seigneur la occy par la main dune femme. Le Seigneur vit, lAnge duquel ma gardée en allant dicy, estant là, & retournant par deçà, sans permettre que sa servante fust donnée en pollution. Il ma ramenée & renduë à vous en liesse, sans aucune tasche de vice ou peché, à sa [p. 77] gloire, à ma felicité, & à vostre delivrance. Parquoy louëz tous le Seigneur, car il est bening, & sa misericorde dure eternellement. Où est maintenant Achior, quil vienne icy.
Loùˆé sois-tu, ô nostre Dieu, qui as aujourdhuy destruit & aneanti les ennemis de ton peuple.
O fille, vous estes beneite devant le Dieu souverain par dessus toutes les femmes de la terre. Et beneit soit le Seigneur Dieu, Createur du Ciel & de la Terre. Lequel vous a adressée à frapper la teste du Capitaine de nos ennemis, & a aujourdhuy eternisé vostre Nom en tout honneur. De sorte que vostre louange durera perpetuellement en la bouche de toute nation qui aura souvenance des merveilles du Seigneur, dautant que vous avez exposé vostre ame au peril de la mort, pour la delivrance & vie de vostre peuple. La cheute duquel vous avez prevenu, en cheminant droit devant nostre Dieu.
Amen, Amen.
Ainsi soit-il.
Scene troisiesme, de lActe cinquiesme.*
Achior. Iudith. Superiorité, &c. |
MA Dame, qui ma fait appeller, est-elle icy? Luy plait-il rien de moy?
Ouy, Achior. Le Dieu dIsraël, duquel vous avez tesmoigné, quil prend vengeance de ses ennemis, a en ceste nuict occy par ma main, le chef de tous infideles. Ce que vous cognoistrez estre veritable, par ce [p. 78] que verrez icy la teste mesme dHoloferne, qui par son orgueil & mespris vous menaçoit de la mort. Disant, quand le peuple dIsraël sera destruit, alors aussi le glaive des Assyriens transpercera vos flancs. Voyez-là, Achior.
Vah! quest-ce que je voy? Voilà la teste dHoloferne. He!
Lhomme se pasme destonnement. Quon laide, quon le leve.
Vous estes digne destre loüée par tous les tabernacles de Iacob. Et tous peuples, entre lesquels vostre renommée sera entendue, en loùˆeront le Dieu dIsraël.
Or, mes freres, escoutez maintenant mes propos: Prenez-moy ceste teste, & la pendez au plus haut Creneau des murailles. Et incontinent que le jour commencera de poindre, & que le Soleil se levera, chascun de vous prendra ses armes, & ainsi sortirez-vous de la ville avecques grand cry & bruit, comme voulants descendre en la plaine sur la garde des Assyriens, sans toutesfois y descendre. Alors iceux prenans leurs armes, sen iront en leur Camp, pour esveiller les Capitaines de larmée Assyrienne. Lesquels courront adonc à la tente dHoloferne, dont ils ne trouveront que le tronc roulé en son sang. Ce qui les rendra surpris de grande frayeur. Et puis quand vous les verrez fuïr devant vous, poursuivez-les courageusement, car le Seigneur les brisera sous vos pieds.
Il sera fait. Sus, que chascun sappreste vistement.
[p. 79]
Scene quatriesme, de lActe cinquiesme.
Curiosité. Abra. |
ABra mamie, arrestez-vous un peu, je vous veux demander quelque chose.
Et quoy?
Le Seigneur a fait merveille en* ceste nuict par la main de vostre Dame. Et par sa confiance en luy, it nous a tous sauvez. Cecy est tout notoire à un chascun, mais personne ne sçait comment il sest fait, quune femme a sçeu executer un tel acte? Oster la teste dun Vice-Roy, oncques ne fut ouy chose pareille! Recitez-le nous, je vous prie, si vous le sçavez.
Ie le sçay, & mesmes par la bouche propre de ma tresvaillante Dame.
Ne le nous celez donc pas. Comment sest-il fait?
Holoferne cuidoit dormir ceste nuict avecques ma treschaste maistresse, & à ceste fin avoit-il fait apprester un banquet bien sumptueux. Chascun y fut alaigre & senyvra, mesme le Prince Holoferne. La mynuict venuë, chascun lassé de boire, sen va dune jambe tremblante, en tastonnant des mains, se mettre à repos en sa tente. Le chambrelan Bagos ferma la chambre dHoloferne, & ma Dame là dedans, laquelle sy trouvant seule avec Holoferne, ja estendu sur son lict, tout assopy dun somne bien profond, par labondance du vin quil avoit beu, & sçachant que ie lattendoye, suivant son commandement, devant la tente, elle marcha vers la couche, en disant à chaudes larmes en silence ainsi: O Seigneur, Dieu de toute [p. 80] uissance, regarde à ceste heure sur les oeuvres de mes mains, pour delivrer ton peuple selon ta promesse, à fin que ie puisse achever ce que jay creu de pouvoir accomplir par toy, à lexaltation de Ierusalem ta Cité,
Cela estoit une bonne oraison, & puis?
Elle sapprocha de la colomne du chevet de son lict, deslia son espée y pendante, la desgaina, & empoigna de lautre main les cheveux de sa teste, en disant: Fortifie-moy à ceste heure, Seigneur Dieu dIsraël. Et frappa sur son col deux-fois de toute sa force (lesquels coups joyoye avecques tremeur) tellement quelle luy emporta la teste, laquelle elle enveloppa en la garniture de sa couche, & roula sa pasle charoigne en son sang. Puis un peu apres elle sortit, & me donna la teste sanglante (laquelle vous venez de veoir) me commandant de la mettre en la malle, & ainsi nous en sommes-nous revenuës au travers de toutes les gardes.
De quelle maniere? La garde vous laissoit-elle ainsi à deux passer franchement.
Ma Dame avoit prudemment practiqué cela par avant. Car elle avoit sollicité & obtenu licence, daller toutes les nuicts avecques moy, pour faire son oraison hors du camp, doù chasque fois nous retournions au camp. Et par-ainsi la garde (qui avoit commandement de nous laisser aller & venir) cuidant quà ceste derniere fois nous allions à laccoustumé, & que deussions retourner incontinent au Camp, fut deceuë & abusée.
O bonne deception! O tromperie salutaire! & louable abus! Na pas le Seigneur par là sauvé les innocens, [p. 81] & destruit le Tyran. Hola! Il me semble que joy quelque bruit. La meslée sattachera, il faut que jen soye, mais dassez loing, & de loeil seulement.
A Dieu, Abra.
Scene cinquiesme, de lActe cinquiesme. |
CEste Scene ne se fera que de bruit, de tambours, trompettes, harquebouses, cris & hurlemens. Curiosité & autres bourgeoises seront aux Creneaux.
Scene sixiesme, de lActe susdit.
Fama. Curiosité. |
Victoire, victoire. Paix, paix.
O deux nouvelles, les plus souhaitables!
Et dautant plus quelles estoyent moins esperées. Un de nos gens en a chassé mille de nos ennemis. Chose oncques ouïe.
Que nous oyons, je vous prie, ceste histoire admirable.
Tresvolontiers: Nos ennemis ont esté tous saisis dune peur effroyable, & au contraire, à nos gens redoubla & creut le courage.
Il en est doncques allé, comme si un petit chien abayant eust chassé mille liévres?
Ne plus ne moins. Car ainsi que les nostres nestant seulement quune poignée de gens, sortoyent de la [p. 82] ville, les Assyriens se sont mis à crier: Les souris de Bethulie sont sorties de leurs tanieres, & nous osent provocquer à la guerre.
Les souris de Bethulie servoyent toutesfois, à ce que jenten, de chats contre les rats dAssyrie.
Aussi faisoyent-elles. La tente dHoloferne fut environnée de ses Capitaines & Officiers, mais nul diceux ne losoit esveiller, cuidant quil tenoit encore Iudith entre ses bras. Bagos noyant aucun bruit, y entra, marcha vers la couche, frappant tout doucement en ses mains, & voyant que personne ne se mouvoit, il sapprocha du lict, & tira les courtines. Lors voyant le tronc dHoloferne roulé en son sang, il sescria dune voix espouvantable: au meurtre, au meurtre, nous sommes tous trahis. Il deschira ses vestements, vint au tabernacle de Iudith, & ne la trouvant point, saillit hors vers les Colonnels, Capitaines & autres, criant: une femme Hebrieuë a deshonnorée & rendu confuse la maison de Nabuchodonosor. Car voicy Holoferne git en terre sans teste, & la femme Hebrieuë ne se trouve point.
Que firent adonc les Colonnels & Capitaines?
Ils deschirerent tous leurs vestemens, & regarderent piteusement les uns les autres. Lestonnement dont ils furent saisis à limproveu, leur osta tout conseil, & leur mit au coeur une anxieté si affreuse, que par tour le Camp ne fut ouy quun cry hideux & hurlement espouvantable.
Comment se maintenoit la populasse?
[p. 83]
Comme gens effeminez: Le coeur leur failloit entierement de veoir leurs chefs si timides, abattus & despourveus de conseil. De sorte quils prindrent leur refuge & confiance, non aux armes, ains à la fuite, & ce dune si grande pusillanimité & peur, que lun ne sonnoit mot à lautre. Mais jettans tous, qui cy, qui là, leurs armes, & tout ce quils avoyent, se mettoyent à teste baissée à prendre chascun tel chemin quils pouvoyent, taschans seulement par mons & par vaux de se cacher devant les Hcbrieux (quils voyoyent venir contre eux armez, & embastonnez) à fin de pouvoir sauver leurs vies.
Et Israël, comment sest-il maintenu?
Les plus aguerris, voyants lennemy prendre la fuite à vau-de-route, les poursuivirent dune grande huée & bruit de trompettes, tuants & pillants tous les Assyriens esgarez quils pouvoyent attrapper: Et puis les autres bourgeois & inhabitans de Bethulie voyants cela, louërent Dieu, & se transporterent au Camp, lequel ils saccagerent, & pillerent les richesses qui nestoyent point petites, puis sen retournerent chargez de ce butin. Infini est le nombre des bestes, & inestimables sont les tresors quils y ont trouvé. De sorte quils sont tous riches depuis le plus grand jusques au plus petit. Mais à Iudith a esté donnée toute la vaisselle, tous les joyaux, & toutes les choses precieuses quon ait trouvé appartenir à Holoferne.
O changement joyeux! dune estroite destresse en une bien ample liesse! Dune necessité disetteuse en une affluence abondante! & du plus eminent peril de la mort, en un triomphe tant inesperé.
[p. 84]
Voire aussi dune guerre ruïneuse & deplorable, en une paix prouffitable & bienheureuse! Car le camp ennemy na esté si tost mis en route & espars, quon nait veu venir triumphamment de delà les monts lamiable, tranquille, joyeuse & souhaitable Paix, comme despenciere, voire Princesse de toutes richesses terriennes, & de toute opulence mondaine. Elle estoit accompaignée dune multitude de vierges, douces & plaisantes, nommément de la Concorde-puissante, Fidelité-loyale, Asseurance-libre, Commerce utile, Prosperité & felicité mondaine.
Scene septiesme, de lActe cinquiesme.
Curiosité. Commune. Iudith avec une compa- gnie de femmelettes portant couronnes & branches dOlivier. |
Voicy derechef la femme virile.
Voila Iudith la bienheureuse. Vous estes vrayement lexaltation de Ierusalem: la vraye gloire dIsraël, & la magnificence honnorable de nostre nation. Car vous avez virilement fait. Dieu a renforcé vostre coeur, par ce que vous avez aimé la chasteté. Et tel a esté le bon plaisir de Dieu, parquoy vous serez benite à tout-jamais. Ainsi soit-il.
Non point à moy, mais au Seigneur, soit honneur, louange & gloire. Or chantons à Dieu un nouveau cantique, & nous esiouïssons en luy eternellement.
[p. 85]
Cantique de Iudith, sur le chant du Pseaume 9. |
NOn point à nous, ô bon Seigneur,
Mais à ton Nom seul soit lhonneur.
Cest toy qui lhomme aux enfers menes,
Puis tout soudain tu len ramenes.
(5) Assur ton peuple a desprisé,
Et son bras roide a seul prisé,
Se vantant fort de bien tost rendre
Ta gent à mort, ta ville en cendre.
Mais toy, mon Dieu, y as preveu,
(10) Et ton peuple à ton secours veu,
Au plus dur temps de sa destresse,
Monstrant ta force en ma foiblesse.
Voila comment Dieu immortel
Sa grand vertu monstre au mortel,
(15) Non par la main dhomme robuste,
Ains par la foy de Femme juste.
Une Vefve humble & chaste aussi,
Sorna dhabits & dor ainsi,
Que par beauté elle a ravie
(20) Au Vice-Roy laudace & vie.
Adonc tout lost senfuit desfait:
Le famelic, povre & desfait,
Le saoul & gras tuë*& deschasse,
Et au petit le grand fait place.
[p. 86]
(25) Cest lEternel qui lhumble & bas
Ainsi esleve, & met embas
Le fier Tyran, & ceux quil hante,
Quà jamais donc son los on chante.
Et toy, Commune, en ce pourpris,
(30) Qui pour ton bien guerre as empris,
Laisse ton Prince en Iudith faire,
Lors finira bien ton affaire.
CONCLUSION.
Allegorie. Docilité. |
CEst icy, à mon advis, que je suis appellée. Ouy. Voila Docilité. Dites moy, ma fille, y a-il icy quelquun qui me demande?
Treschere & treshonnorée maistresse, esprit, ame & vie de lhistoire, toute ceste notable assemblée vous demande: Elle a envoyé vous querir, & vous attend en bonne devotion.
Quest-ce quil leur plait?
Ils ont icy veu & ouy lhistoire de la virile Iudith, exhibée selon la lettre, & maintenant voudroyent bien entendre sommairement le sens spirituel qui y peut estre compris & caché, à fin den pouvoir user à leur plus grande edification.
Cest mon office cela, & ne le refuse à personne qui [p. 87] le requiert, ains le fay tresvolontiers & de bon coeur. Que chascun donc mescoute ententivement. Ie declareray en peu de paroles le mystère dicelle:
LEsprit humain sentant langoisse plaintive du jugement de Dieu, employe toute sa force pour opprimer laccroissement des sainctes vertus qui ne le veulent reverer, ny adorer ses opinions imaginaires, mais à la fin, la vigilante foy (engendrée par laudience de la parole de Dieu) estant vefve de loubliance des graces divines, & entierement destituée de la souvenance de son propre, venant à confesser & louër le Seigneur, met à mort ceste faulse force doppression par ses propres armes de larrogante science charnelle, au salut de la lignée dIsrael.
Voila bien une bonne & briefve explication. Mais ne la pourroit-on pas amplifier ou approprier au cours du temps present, au contentement de ceux qui ne sçavent bonnement comprendre chose si profonde.
Si feroit dea, sil leur plaisoit encores autant de temps me prester loreille en patience.
Sans doute aucune.
Quand Nabuchodonosor, qui vaut autant à dire, que complainte du jugement oppressant, vint à estre si audacieux, quil se voulut mettre en la place de Dieu, (comme ordinairement font tous Tyrans) pour commander aux consciences de la nation Hebraïque. Ce peuple fidele ainsi opprimé, se print à gemir & se plaindre de ce jugement presumptueux. Lequel laccabloit dune indicible frayeur & angoisse par son Lieutenant Holoferne, lexecution & persecution qui se fait contre la Religion divine, non par voye de Iustice, ains [p. 88] par force & violence. Cestuy-ci environna & assiegea de tous costez la ville de Bethulie, je dy la maison procreée de Dieu, qui est la congregation des fideles, ou bien lEglise Chrestienne, faisant par ses gardes & soldats, les mouches, espiës & faux rapporteurs, couper & occuper les conduits deauë, & la fontaine du libre exercice de leurs ceremonies mystiques, qui gisoit hors de la Cité (comme ainsi soit que la pluspart du Commun est une gent, qui na chez soy la vraye source dont sourdent & saillent les ruisseaux de vie) ne plus ne moins que le peuple de nostre siecle a esté naguere contraint de sabstenir de tout exercice exterieur, comme de la predication vive, du vray Baptesme, de la saincte Cene, & ce qui en depend: Dont ils ne pouvoyent user sinon à lemblée & en cachette, non sans grand peril de la vie, tout ainsi que les Iuifs beuvoyent leurdite eauë à certaine mesure. Laquelle venant à faillir entierement par la cautelle de lennemy, ils sont aussi tombez en extreme perplexité.
Ie neusse jamais pensé quune Histoire antique se deust si bien rapporter à la moderne, & la chose temporelle a la spirituelle. Poursuivez, je vous prie.
Or Achior, dit frere de lumiere, voyant en ceste extreme affliction, la constance du peuple persecuté en son innocence, eust compassion deux (comme tout bon Prince a, & doit avoir) predisant au Tyran sa destruction & ruïne. Parquoy aussi il fust persecuté pour le tesmoignage de la verité. De maniere quavec S. Paul (qui dun persecuteur fut fait un deffenseur & vray vaisseau delection) il fut adjoint à la lumiere des freres, à sçavoir, à lEglise de Dieu. Laquelle de plus en plus fut persecutée, & par ainsi la necessité de la Commune saccreut de jour à autre, & la confiance en Dieu se diminua, tellement quils delibererent par une vaine [p. 89] persuasion de ceste vie temporelle, dabandonner Dieu & la liberté de conscience, pour servir au Tyran & à leur ventre comme serfs & esclaves dimpieté. Le Prestre Ozias nestant quun ministre Mosaïque, & nayant que la science des lettres, entreprint bien dappaiser le peuple, mais il ne pouvoit (car la lettre qui occit, ne peut sauver aucun sans lEsprit de Christ, qui seul nous vivifie) & que pis est, il vint avec eux à tomber en diffidence, ordonnant temps & terme au Seigneur pour livrer la Cité.
Pleust à Dieu que nous eussions eu faute de tels Prestres, Prelats & Ministres, plusieurs bonnes villes ne seroyent si miserablement traitées de lennemy, comme helas! elles sont.
Ce Prestre Ozias fut sagement repris de ceste sienne folie, par la vaillante Iudith, qui sinterprete lame fidele qui confesse & magnifie le Seigneur. Elle estoit vefve de Manassé, à sçavoir, de loubliance des bienfaits de Dieu. De laquelle elle estoit si entierement privée & destituée, quelle navoit rien plus en memoire que les bienfaits du Seigneur, dont elle luy rendoit continuellement graces infinies, comme estant abreuvée du noble vin de lEsprit qui vivifie, lequel elle avoit chez soy en abondance, & par ainsi nestoit point contrainte, comme la Commune, de courir apres ces froides eauës de la lettre insipide. Ceste-cy entreprint alors de se transporter hors de la Cité, au Camp de lennemy, abandonnant, comme fait le vray Pasteur pour ses ouailles, & le bon Prince pour ses subjects, tout son propre, & vie & biens. Seulement elle print avecques soy son Abra, signifiant servante, parquoy je lappelleray, le corps du fidele, gouverné par lame divine, à laquelle ce corps, selon son possible, est subject & obeïssant. Puis sen va presenter [p. 90] franchement ornée & parée richement de toute sorte de vertus, devant la face dHoloferne (lexecution predite) lequel voyant & convoitant sa beauté & richesse, fut incontinent si espris du feu de la vilaine concupiscence, que le coeur luy bouillonnoit dambition, & senyvra au vin davarice. De sorte quil perdit toute regle & maniere de gouverner, estant entierement assopi au somne de lignorance de Dieu, auquel somne Iudith tousiours esveillée, attendant son heure, loccit de son glaive propre. Lequel jappelle la force en laquelle il se fioit. Tout ainsi que ces grands Confiscateurs de nostre siecle, qui aussi nont eu peur de renverser ce dessus dessous, pour saccager & encoffrer les richesses de tout le monde, ont esté frustrez de leur intention perverse par leurs propres forces, leurs fideles & obeïssans subjects. Lesquels voyants quon ne cessoit point de noyer, brusler, decapiter, pendre & estrangler les meilleurs du païs, se sont par une desobeïssance, procedée de leur patience par trop irritée, opposez contre la tyrannie barbare, à fin de secouër une fois de leurs espaules cest insupportable joug de loppression & forcement inique des sinceres consciences. Ce Tyran ainsi occy donc, par sa propre force, & frustré de lesperance quil avoit de jouïr & concubiner à son plaisir des grands & beaux tresors, les magnifiques possessions des Provinces opulentes, ses complices & faux adherens, je dy ses Colonnels & Capitaines, vont aussi prendre la fuite, laissant leur butin & despouilles aux fideles vassaux & vrais tuteurs de la Patrie. Et tout ainsi seront encores (au temps preordonné de Dieu, bien quil tarde) tuez ou enchassez semblables Tyrans & leur sequelle, qui abusent par trop de la bonne patience des loyaux subjects, & laisseront, malgré eux, leurs depouilles, la vraye liberté du service divin, aux vertueux Achiors, les vrais protecteurs & deffenseurs du bien public.
[p. 91]
Tels sont vrayement les jugemens de Dieu, qui sçait aussi bien chastier les grands que les petits, faisant à la fin cheoir les fols en la fosse quils avoyent faite pour les innocens.
Voila, Nobles, honnorables, sages & discrets Seigneurs & amis, la fin de nostre tragique recreation. Il vous plaira la prendre en gré, & pour un exemple serieux dabandonner le mal, & dadherer au bien, priant le Seigneur dune foy vive, quil luy plaise vous delivrer du regne de peché, & son aide ne vous desfaudra jamais. A tant allez, vivez en joye, & bien vous soit. Ainsi soit-il.
Ioüée & representée en Anvers, lAn 1582. le 1. & 2. de Iuillet.
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LE CANTIQUE DE IUDITH AU LONG, SELON LA BIBLE. |
1 A Donc Iudith commença ce Cantique pour confession de louange en tout Israël. Et tout le peuple chantoit à haute voix.
2 Commencez en lhonneur de mon Dieu avec tabourins: chantez à mon Seigneur avec cymbales. Chantez luy Pseaume en accord: exaltez sa louange, & reclamez son Nom.
3 Car cest le Dieu qui rompt les guerres,
4 Qui a dressé son camp au milieu du peuple, & ma delivré de la main de ceux qui me persecutoyent.
5 Assur est venu du costé dAquilon: il est venu avec les milliers de son armée, dont la multitude a espuisé*les torrens, & la chevallerie a couvert les vallées.
6 Il se vantoit de brusler mes regions, de tuer ma jeunesse au trenchant de lespée, froisser contre terre mes enfans qui allaittoyent, saccager mes petis enfans, butiner mes vierges.
7 Le Seigneur tout-puissant les a frustrez par la main dune femme.
8 Car le fort nest pas tombé par la main des jeunes gens: & les fils des Geans ne lont point frappé, les Geans robustes ne lont point assailli: mais Iudith*fille de Merari la defait par la beauté de sa face.
9 Car elle a desvestu la robbe de son vefvage, pour remettre au dessus ceux qui estoyent pressez en Israël.
10 Elle a oinct sa face donguents, & a agencé ses cheveux en coiffe: elle a prins une robbe de lin pour le decevoir.
11 Les patins dicelle ont ravy ses yeux. Et sa beauté a prins son ame prisonniere. Lespée a passé par son col.
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12 Les Perses ont tremblé*de sa hardiesse, & les Medeens ont esté effrayez de son audace.
13 Adonc mes affligez se sont esgayez, & mes foibles se sont escriez: & ils en ont esté estonnez. Ils ont eslevé leur voix. Ils ont esté chassez.
14 Les fils des jeunes filles les ont percez, & les ont navrez comme fugitifs. Ils sont peris par la bature de mon Dieu.
15 Ie chanteray au Seigneur hymne & louange.
16 Seigneur, tu es grand & glorieux, admirable en force & invincible!
17 Que toutes tes creatures te servent. Car tu as dit le mot, & elles ont esté faites. Tu as envoyé ton Esprit, il les a edifiées: & ny a nul qui resiste à ta voix.
18 Car les montaignes tressaillent de leurs fondemens avec les eaux. Les rochers decoulent comme la cire en ta presence.
19 Neantmoins tu seras gracieux à ceux qui te craignent. Car cest peu de chose de tout sacrifice odoriferant, & peu de chose de graisse bruslée en holocauste. Mais celuy qui craint le Seigneur, est de grand pris à tousiours.
20 Malheur sur les gens qui seslevent contre ma maison. Le Seigneur tout-puissant en fera la vengeance au jour du jugement,
21 Envoyant du feu & des vers sur leurs corps, dont le sentiment les fera lamenter à tout jamais.
22 PUIS quand ils furent entrez en Ierusalem, ils adorerent le Seigneur: & incontinent le peuple sestant purifié, offrit des holocaustes, & presens volontaires, & leurs dons.
23 Iudith aussi dedia tout le bagage dHoloferne que le peuple luy avoit donné. Et du pavillon quelle avoit prins de la chambre, elle fit une oblation sacrée au Seigneur.
24 Ainsi le peuple se resiouït en Ierusalem [p. 94] aupres du sanctuaire par lespace de trois mois.
25 Et Iudith y demeura avec eux. Apres cela, chacun retourna chez soy. Et Iudith revint en Bethulie, & demeura sur son bien tout le temps de sa vie, estant fort honorée en tout le païs.
26 Plusieurs desirerent de lavoir: mais jamais homme neut sa compaignie, tant que dura sa vie, depuis lheure de la mort de son mari Manasses.
27 Apres elle fut recueillie avec son peuple. Mais elle fut bien fort haussée en grandeur:
28 Et vieillit en la maison de son mari, ayant vescu jusquen laage de cent & cinq ans. Et donna liberté à sa chambriere. Apres cela elle mourut en Bethulie. Et on lensevelit au sepulchre de son mari Manasses.
29 Toute la maison dIsraël la pleura par sept jours. Mesmes devant que mourir elle distribua ses biens aux plus prochains parens de Manasses son mari, & delle.
30 Et tout le temps quelle vesquit, il ny eut personne qui espouvantast Israël jusques long temps apres la mort.
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Qui se confie en Dieu, souvent est desvestu,
Destat, de biens, de corps, mais jamais de vertu.
[Vignet: Daphne, een leeuw en tekst Bienheureux qui en dieu se fie.]
DAphné par confiance,
En cerchant sauvement,
Obtint subitement,
Dun Laurier verd, lessence.
(5) Or ny a violence
Qui puisse maintenant
Flestrir aucunement
Sa tres-verde constance.
Tout ainsi adviendra
(10) A lhomme qui voudra
De Dieu estre assistée:
Son chef il ornera
Dun Laurier, qui sera
Deternelle durée.
[p. 96: blanco]
p. 11 occasion er staat: cocasion
ibid. cercher er staat: cetcher [ook elders cercher voor chercher]
p. 13 estonnement er staat: estonnemeut
p. 15 Fama. sprekeraanduiding aangepast; er staat: Garrulité.
p. 24 sanguinaires er staat: sauguinaires
p. 27 sans er staat: saus
p. 37 tellement er staat: tellemeut
p. 40 demeurerent [?] er staat: demeurereut
ibid. anxieté er staat: auxieté
p. 42 a livré er staat: livré
p. 48 troisiesme er staat: ttoisiesme
p. 64 bien er staat: blen
p. 65 adulation er staat: adulatiou
p. 71 Israëlite er staat: Israëlité
p. 77 cinquiesme er staat: huictiesme
p. 79 en ceste nuict er staat: on ceste nuict p. 85, vs. 23 tuë er staat: tnë
p. 92 espuisé er staat: espuise
ibid. Iudith er staat: Iudich
p. 93 tremblé er staat: tremble
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