Etienne Perret, XXV Fables des Animaux. Delft, 1618

Transcriptie o.b.v. het Bibliothèque de la Ville de Lyon
en gecheckt op Gallica (BNF)

Dit digitale bestand is gemaakt door Dirk Geirnaert (Instituut voor de Nederlandse Taal / Universiteit Leiden), in het kader van het NWO-project Aesopian Fables 1500-2010: Word, Image, Education. Voor dit project werden ook transcripties gemaakt van Eduard de Dene, De warachtighe fabulen der dieren (Brugge, 1567), Esbat[e]ment Moral des Animaux (Antwerpen, 1578), Etienne Perret XXV Fables des Animaux (Antwerpen, 1578) en Anthoni Smyters, Esopus fabelen (Rotterdam, 1612),

- afkortingen staan tussen <abb></abb>;
- de bladvullende illustratie bij elke fabel is vervangen door de aanduiding {ill};
- onder de Allusion staan bijbelcitaten; deze bijbelcitaten bestaan uit het bijbelvers (tussen <bv></bv>) en de bijbeltekst (tussen <bt></bt>).
Continue
XXV
FABLES DES ANIMAVX.

Vray miroir exemplaire, PAR
LEQVEL TOVTE PERSONNE RAISON-
nable pourra voir & comprendre, avec plaisir & conten-
tement d’esprit, la conformite & vraye similitude de la
personne ignorante (viuante selon les sensualitez char-
nelles) aux animaux & bestes brutes:


COMPOSE ET MIS EN LVMIERE
PAR ESTIENNE PERRET.
CITOYEN D’ANVERS.


[ ]


Imprime à Delf,
Chez ADRIEN GERARDS,
l’an 1618.
En ce Livre verrez belle comparaison,
De l’homme a l’animal, qui vit contre raison.


L’AVCTEVR AV LECTEVR.

E stimer il nous faut la personne vivante
S elon l’affection charnelle, sans raison,
T el & moins qu’on feroit vn asne, ou vn oison;
I uge j’en fay chacun qui de savoir se vante.
E t pensons nous que Dieu, qui de sa main puissante
N ous a ainsi douez (le craignant) de science,
N e nous chastie aussi pour nostre grand’ offence,
E n layant oublie, comme beste inconstante?

P our doncques resister à la chair arrogante,
E t acquerir de Dieu ce don promis de grace,
R efrener il la faut, a fin qu’elle ne face
R ien contre la raison, comme beste ignorante:
E mployant nostre esprit (qu’est de Dieu l’efficace)
T ellement qu’acquerions sa gloire triomphante.


<bv>PSEAVME VIII.</bv>

<bt>SEIGNEVR Dieu, tu as fait & creé pour l’vsage
De l’homme tout ce qui est apparent a ses yeux:
Tellement qu’il n’y a animal sous les cieux
Quil ne face fremir, s’il est prudent & sage.</bt>


{ill}


I.

Du Cheval de guerre, & de la Truye.

Jl vaut trop mieux mourir avec honneur,
Que mal vivant acquerir deshonneur.



VN Cheval fort gaillard & brave outre mesure
Richement adorne, & en bel equipage,
Sur sa teste portant vn bien riche pennage,
Vers la guerre est alle pour servir de monture.
Vne Truye voyant son maintien & allure
Tant brave & orgueilleux, luy a dit povre beste,
Tu ne retourneras si ioyeux de la feste:
Car qui la guerre suit, vit en grand’ aventure.
Le Cheval ce oyant, en regardant la Truye,
Qui grand plaisir prenoit soy veautrer en l’ordure,
Luy a dit: mieux me vaut honorable aventure
Acquerir par travail, au vent & a la Pluye;
Que vivre comme toy, qui de rien te soucie,
Fors qu’a toy engraisser, vivant bien ordement,
Attendant qu’on te tue jour vn cruellement.
Qui aime oisivete, d’honneur n’eut oncq’ envie.


ALLVSION

AInsi plusieurs chetfs & vilaines personnes
Tresmalings & pervers, suivant tout leur desir
Charnel & vicieux, vivans à leur plaisir
Tousiours vont reprenant ceux qui font aeuvres bonnes:
Esbahir ne s’en faut, car leurs humeurs consonnes
Ne sont aux vertueux, qui ne taschent qu’a croistre
Leur renom par bien-faicts, & se faire cognoistre.
Plus leur fore monstrant que lions & lionnes.


<bv>GAL. VI</bv>

<bt>Que chacun prudemment bien oespreuve son oeuvre,
Lors pour vray gloire aura en soy, non en antruy.
Ne mettons point ausci sur autruy nostre appuy,
Car Dieu cognoist les coeurs, & nos mal-faits descoeuvre.
</bt>


{ill}

II.

De l’Aigle, & Limasson.


Celuy qui cerche à trop haut s’exalter,
Lon voit souuent bien bas precipiter.



LE Limasson fasche de se trainer par terre,
Promet de fort grans dons a celuy qui voudroit
D’ici bas l’eslever envers le ciel tout droit:
Et qu’en outre seroit tousiours son tributaire.
L’Aigle oyant ces propos, pour de luy prouffit traire,
Haut il l’a esleve: dont a este ioyeux.
Et bien luy a semble tel estat valloir mieux,
Qu’en ce monde mener vie si solitaire.
Le Limasson en l’air menoit ioyeuse vie,
Pensant qu’ici bas plus sur terre ne viendroit:
Mais l’Aigle luy a dit, Paye-moy or endroit
Ce que tu m’as promis, avant que trop m’ennuie.
Dont la Limasse eut peur: & bien fort l’Aigle prie
De le vouloir quitter. dequoy par trop faché,
Entre les ongles vif l’a par piece escaché.
Promettre lon ne doit, ce que pouvoir denie.


ALLVSION.

Le cas pareil souvent à plusieurs il advient,
Qui par ambition cerchent de s’exalter,
Ne pouvans leurs desirs par raison contenter:
Parquoy tresgrand malheur tout a coup leur survient.
Mais qui en son estat bien content se maintient,
Et rend graces à Dieu de ce qu’il luy enuoye,
Iceluy a son coeur en repos plain de ioye.
A l’orgueilleux tousiours quelque malheur advient.


<bv>LVCAE XII.</bv>

<bt>Celuy qui est content de sa vocation,
Et par orgueil ne cerche à trop soy exalter,
En vertu & en biens le verrez augmenter,
Et povrement finer qui cerche ambition.
</bt>


{ill}

III.

Du Lion, et du Sanglier.


Le mal de l’vn, comme on voit en ce monde,
Tousiours au bien de quelque autre redonde.



LE Lion courageux en son chemin rencontre
Vn Sanglier furieux, tout prest à l’outrager.
Et l’approchant de pres, Il te faut revenger,
Dit-il, ou de mes dents te donray mal-encontre.
Le Lion gayement sa force luy demonstre,
Se sentant si a coup vilement outrager;
Et si luy saute a dos, sans se descourager:
L’vn à l’autre au mieux mieux sa force la desmontre.
Vn Vautour les voyant en si fiere bataille,
Bien attentivement assis sur vne branche,
Voyant le sang couler tout du long de leur hanche,
S’asseure de remplir d’aucun d’eux son entraille,
Veu qu’ainsi s’assailloyent & d’estoc & de taille.
Mais en la fin changea sa ioye en desconfort,
Car nul ne fut vaincu; c’estoit fort contre fort.
Tel en vain maintes fois son esprit fort travaille.


ALLVSION.

LE pareil tous les jours voit-on en tous estats,
Et sur tout entre ceux qui ne craignent point Dieu.
Car qui met son espoir sur hommes en tout lieu,
Ceux-la hayent la paix, & cherissent debats.
Qu’est-ce que plus esmeut questions & combats
Entre tous les humains, qu’Envie & Avarice;
Et nostre propre gain, de tous maux la nourrice?
C’est la cause pourquoy Dieu nous chastie, helas!


<bv>APOCAL. II.</bv>

<bt>Qui sçait vaincre peche, du monde est le plus fort,
Et en tous griefs dangers se treuve soulage.
Et qui patience a quand il est outrage,
Quil n’aye point de peur de la seconde mort.
</bt>


{ill}

IIII.

Du Renard, & du Corbeau.


Le beau parler d’vn flateur fort redoute;
Car bien souvent est trompe qui l’escoute.



LE Corbeau en son becq tenoit vn gras fromage,
Sur vn arbre branche, pour d’iceluy repaistre.
Vn Renard le voyant, en finesse bon maistre,
Y accourt vistement & monstrant bon vsage,
Luy dit en le flattant, qu’oncques plus beau plumage
Il ne vist que le sien; ni oiseau mieux chantant:
Monstrant que pour louir il estoit escoutant.
Vn flateur volontiers vse de faux langage.
Le Corbeau se sentant si grandement priser,
Et principalement son chant melodieux,
Commence a gazouiller: & le fromage vieux
Tombe en ouvrant son becq, se laissant abuser.
Le Renard si l’empoigne, & sans temporiser
S’enfuit: & le Corbeau mal repeu, & dolent
D’avoir ce finart creu, trop tard il se repent.
Tousiours verrez flateurs aux mondains s’adresser.


ALLVSION.

LE flateur a ses dicts & faicts fort variables;
Et monstre d’estre ami tant que fortune dure:
Mais soubs vn faux semblant rend peine & si procure
De vous tromper, s’il peut, par ses traicts decevables.
Garder donc il s’en faut, puis que sont si instables;
Et croire au vray ami qui parle verite;
Aimant plus vostre bien que sa commodite.
Ceux qui croyent flateurs, en fin sont miserables.


<bv>ECCLES. VII.</bv>

<bt>Mieux d’vn sage & prudent il vaut estre repris,
Et souffrir pour vn mieux, par son advis, dommage;
Que d’vn flateur pervers, par son faintif langage
Se laisser abuser, & a son grand mespris.
</bt>


{ill}

V.

De Iupiter, & du Serpent.


Dons accepter lon ne doit de personne,
Sans bien penser quel est celuy qui donne.



IVpiter a tenu vn festin magnifique,
Auquel il a semons plusieurs dieux & deesses.
Et a fin de tant plus recreer leur noblesses,
Commande aux animaux par sa voix deifique,
Que chacun vn present rare & aromatique
Leur vinse presenter; sans mettre en oubliance
Le debuoir qu’vn chacun leur doit & reverence;
Bannissant tous ceux-la qui ont le coeur inique.
Le Serpent cauteleux le premier se presente,
Vne Rose tenant tres-belle en son museau:
Mais le Dieu Iupiter bien cognoissant l’oiseau
Malin & veneneux, luy a dit, qu’indecente
Son offrande sembloit aux Dieux, & moins recente.
Et vn malin aussi ne se doit accepter
En bonne compaignie, ains du tout regetter,
Et accepter celuy qui loyaute attente.


ALLVSION.

TOut ainsi en advient au superstitieux,
Qui sous vn faux semblant veut a Dieu faire offrande;
Et cependant ne scait ce qu’il dit ou demande,
Tant a le coeur malin, pervers, & odieux.
Dieu veut qu’ayons le coeur pur, & non vicieux:
Ayant de nos pechez regret & repentance,
Et que d’vn coeur contrit en facions penitence:
Carl e malin esprit n’entrera point es cieux:


<bv>ECCLES. XXXV.</bv>

<bt>L’offrande du pecheur est a Dieu aggreable,
Et la senteur d’icelle en monte iusque aux cieux,
Pourveu que le coeur soit en bien devocieux;
Car Dieu au coeur contrit est tousiours favorable.
</bt>


{ill}

VI.

Du Cheval sans charge, & de l’Asne charge.


Chacun deuroit avoir cure & grand soin
De son prochain, & l’aider au besoin.



VN riche paisan en foire s’en alloit,
Menant vn gras Cheval, non charge, a la main:
Et son Asne il avoit, comme trop inhumain,
Tant charge de fardeaux, que par force il falloit
Qu’il eust aide, ou tombast; tant le faix l’affolloit.
Parquoy prie au Cheval de l’aider au besoin:
Mais refus luy en fait, de son mal n’ayant soin;
Et tant que peut de luy se moquant reculoit.
Le paisan fasche du refus qu’avoit fait
Le Cheval à son Asne, estant par terre cheut,
Par courroux vn desdain sur luy soudain conceut:
Et chargea sur son dos, pour peine du mesfait,
De l’Asne le fardeau: dont n’estant satisfait,
Tant de coups de baston luy donne qu’à merveille,
Le paysant a bon droict de monnoye pareille.
Et l’Asne ce voyant, de son mal se refait.


ALLVSION.

SI nous voyons l’ami en danger ou en paine,
Et que nous ayons bien le moyen de l’aider,
Promptement le deurions faire, sans marchander.
Car l’homme vertueux, qui ne porte au coeur haine,
Du prochain a pitié, c’est chose tres-certaine,
Et l’aide a supporter son mal autant que peut:
Mais le malin pervers ainsi faire ne veut,
Par ce que l’ennemi ou il veut, il le meine.


<bv>LVC VI.</bv> <bv>GALATES VI</bv>

<bt>Aimez vos ennemis, vivans en ferme foy;
Et si faites plaisir à celuy gui vous hait:
Secourez le prochain, & de dit & de fait:
Car qui ainsi vivra, accomplira la Loy.</bt>


{ill}

VII.

Le Rat domestique, & l’Huistre.


Qui friamment veut du tout vivre au monde,
Malheur le suit, & de tout vice abonde.



VN domestique Rat gros & gras a merveille,
Bien nourri friamment de vivres a plante;
Mais ne se trouvant point de tout ce contente,
De cercher nouveau mets prend cure nompareille,
Et pour le recouvrer au possible travaille:
Sortant de son manoir la fortune a tente;
Et l’air nouveau luy à son desir augmente,
Peu se doutant du mal que pour luy s’appareille.
Venant donc sur le bord de la marine: a veu
Vn Huistre, qui pour l’air recevoir bien fort baille:
C’est toy, dit-il, que veux avoir, vaille que vaille,
Ne se doutant que tost se trouveroit deceu:
Car la teste mettant dans l’Huistre à l’impourveu,
En se hastant, de peur que ce morceau luy faille,
L’Huistre par le museau l’attrappe en son escaille.
Par vouloir gourmander ce dommage a receu.


ALLVSION.

AInsi advient souvent a ceux qui s’accoustument
De vivre a leur plaisir, en l’orde gourmandise:
Et pouvans accomplir leur grande friandise,
Estre les plus heureux de ce monde ils presument.
Mais tous ceux qui leur coeur d’vn tel feugrecq allument,
Et qui a l’abandon suivent telle sottise,
Iceux ne craignent Dieu: & par leur grand’ bestise,
Leur ame, corps, & biens, en mal-heur ils consument.


<bv>HEBR. XII.</bv> <bv>ECCLES. XXIII, & XXXVII.</bv>

<bt>Gourmandise pour vray engendre maladie;
Et Esau en perdit sa primogeniture:
Mais qui son corps maintient d’honneste nourriture,
Et qui sobre sera, ralongera sa vie.
</bt>


{ill}

VIII.

Du Cheval, & de l’Asne charge de bois.


Nul ne se doit trop fier sur son heur,
Ni estimer travail estre malheur.



L’Asne qui iour & nuict au travail tracassoit,
Et sobrement traite estoit pour recompense;
Voyant vn beau Cheval venir en sa presence,
Bien gras, & non charge; mal-heureux s’estimoit,
De porter tant de coups que souffrir luy failloit
Sans cesse & sans repos: & que le Cheval vie
Si gaye demenoit mais quoy qu’il luy envie
De sa vocation, il faut que content soit.
L’Asne a l’accoustumé au travail continue,
Combien qu’à contrecoeur, & bien plus laschement;
Parce que le Cheval il voyoit friamment
Estre traite, & luy a porter bois se tue.
Advint que le Cheval subit a l’impourveve
Fut selle & bride pour aller à la guerre:
Ce que l’Asne voyant, content s’en va grand’ erre:
Et craingnant d’avoir pis, en son mal s’esvertë.


ALLVSION.

FOrtune oncques ne fut si constante & prospere
A aucun, qu’en la fin ne luy donne mal-aise.
Et souvent il advient, que qui vit à son aise,
Infortune le suit, & son bon-heur altere:
Et pensant estre seur, vne douleur amere
Le vient tost assailir; tellement que sera
Povre esclave & martyr, & ainsi il moura.
Que nul, pour bien ou mal, de son heur desespere.


<bv>I. CORINTH. X</bv>

<bt>Celuy qui est debout, prevoye prudemment
Que par ambition ne vienne a trebucher:
Car que par son bon heur vient a se desbaucher,
Dieu permet qu’en malheur il tombe impudemment.
</bt>


{ill}

IX.

Le Paisan & le Satyre.


L’Homme faintif & dissimulateur,
Double en parler il est, & grand menteur.



VN Satyre en vn bois se trouuoit ayant froit:
Lequel a son grand heur vn Paisan rencontre:
Si luy dit: Mene moy, ou le chemin me monstre
Pour sortir de ce lieu: car mon desir seroit
De tresbien me chauffer: cela me referoit.
Le Paisan tout court en sa maison le meine,
Rechauffant en chemin ses mains de son haleine.
Et d’apprendre cest art, le Satyre aspiroit.
Quand furent arrivez, la femme leur presente
Vn escuelle a chacun pleine de chaut papin.
Le Paisan subit comme vn franc turlupin,
En la sienne a souffle, & a menger attente:
Le Satyre en ceci son esprit fort tourmente,
Voyant qu’vn mesme vent eschauffe & refroidit:
Parquoy subit partant au Paisan a dit,
Mal-heureuse bouche est, qui souffle a double entente


ALLVSION.

IL s’en trouve plusieurs, qui d’vne mesme bouche
Grand bien diront d’autruy, & subit en mesdisent:
En quoy les vertueux bien fort se formalisent;
Car le faintif parler iusques au coeur leur touche.
En quel plus grand danger ou cruelle escarmouche
Se pourroit-on trouver, que de s’estre fie
En vn faintif parleur de coeur falsifie?
Pour vray si cruel n’est vn tygre tresfarouche.


<bv>ECCLES. II</bv> <bv>IACOB IIII.</bv>

<bt>Malheur à celuy-là qui est double de cueur,
Et qui du droit chemin à escient desuoye:
Aussi mal-heureux est, & de l’ennemi proye,
Qui son prochain tourmente, & le tient en langueur.
</bt>


{ill}


X.

Du Serpent Basilicq, & de la Belette.


Prudent conseil est d’efficace telle,
Que vaincre scait malignite mortelle.



LE Serpent Basilicq, cruel, plain de malice,
Pervers & vicieux, sans aucune pitie
Par son regard infect & grande inimitie,
Destruit tout ce qu’il void, tant est rempli de vice.
Advint qu’en ce doutant, par naturel indice,
La Belette, animal trespetit, mais prudent,
Qu’advenir luy devoit vn peril evident,
Contre son ennemi print armure propice.
L’armure qu’il a prins, c’a este de la Rue,
Herbe de grand vertu, fort contraire au venin:
Par lequel il a fait son ennemi malin
Vaillamment reculer, & esblovir sa veve.
Le Serpent se voyant ainsi a l’impourveve
Surpris d’vne senteur qui le cuida crever,
Le petit animal il laissa sans grever.
Souvent vn foible corps la prudence esvertue.


ALLVSION.

CHacun estre deuroit prudent & sur sa garde,
Pour scavoir en tout temps a l’ennemi pervers
Resister constamment: car c’est la sauvegarde
Pour point n’estre surpris par ses assaux divers.
Et d’vn grand ennemi les faux tours & revers
Souvent vn petit corps par prudence retarde:
Car l’esprit est du corps la vraye sauvegarde:
Mais l’imprudent n’est bon que pour nourrir les vers.


<bv>LVC. XI, XXI, & XXII.</bv>

<bt>L’homme prudent & fort, qui bien sa maison garde,
Possede tout son bien en paix & sauvegarde:
Mais si autre plus fort survient & le surmonte,
Lors tout ce qu’a luy prend, le confond, & le donte.
</bt>


{ill}


XI.

Du Lion, & du Cheval.


Sage & prudent faut estre & advise,
Pour resister au fin & faux ruse.



LE Lion, animal de tresfiere nature,
Vn Cheval a trouve en vn pre verdoyant:
Auquel a dit, qu’estoit (de pres le costoyant)
Vn maistre qui scavoit guerir toute blessure.
Parquoy si aucun mal tu as ou paine dure,
Di-le moy hardiment: car pitie fort me meut:
Et aussi suis celuy qui bien faire le peut.
Mais croire lon ne doit trompeur, combien qu’il iure.
De son dol se doutant le Cheval, respond: Maistre,
Grandement suis ioyeux qu’estes venu me voir:
Car i’ay tant mal au pied, qu’à peine me mouvoir
Ie ne puis, ni aller pour gayement repaistre.
Le Lion s’abbaissant pour son mal recognoistre,
Du Cheval si grand coup receut à l’impourveve,
Que les dents luy brisa, & offusqua la veve.
Faintise & faussete souvent payent leur maistre.


ALLVSION.

PLusieurs vn beau semblant exterieurement
Monstrent de vray ami, sous fausse ombre & couleur;
Mais cependant ce sont ennemis vrayement,
Cerchans leur propre gain, & d’autruy le mal-heur:
Contre tels il se faut de prudence & bon coeur
Magnanime & constant armer totalement:
Car prudence plus vaut que grande force ou heur,
A celuy qui prevoit son malheur sagement.


<bv>MATH. VII.</bv>

<bt>Soigneusement nous faut garder des faux prophetes,
Seducteurs tres pervers, & malings interpretes:
Car ils vont practicant sous fausse ombre & couleur,
Du droit & vray chemin nous tirer en erreur.
</bt>


{ill}


XII.

Du Berger menteur.


Qui a mentir bien souvent s’accoustume,
Quand il vray, mentir on le presume.



SVR vn mont verdoyant menoit vn Berger paistre
Ces petits aignelets & brebis gayement:
Et bien souvent par ieu, en mentant faussement,
A des autres Bergers il donnoit a cognoistre,
Que de loin il veoit vn grand loup apparoistre:
Dont iceux accourans pour l’aider au besoin,
Et se voyans trompez, plus de luy n’ont eu soin.
Souvent on voit mocqueurs leurs bourdes comparoistre
Il advint peu apres qu’vn grand loup vrayement,
Pendant que ce Berger a l’ombre estoit assis,
Charge dessus son dos vne de ses brebis.
Ce que voyant, accourt bien tost & vistement
Pour secours; en criant Au loup, bien hautement.
Mais les autres, pensans qu’il mentoit derechef,
L’ont laisse au besoin; dont receut se meschef.
Tel se pense moquer, qui souvent s’en repent.


ALLVSION.

PAreillement celuy qui est accoustume
De mentir bien souvent, quoy que verite dise
Par apres, il n’est creu. Parquoy a tous i’advise
De vivre tellement, que son dire estime
Soit de tous veritable: lors il sera aime.
Car qui a trop parler, & a mentir s’adonne,
Son honneur laschement il perd & abandonne.
Vn menteur tousiours est bien fort desestime.


<bv>PROV. X, XXI, & XXIX.</bv>

<bt>Vn Prince qui se plaist d’ouir parler mensonge,
Et qui donne audience aux malings & flateurs,
Iceluy a sa court remplie de mal-heurs.
Et remors comme vn ver iour & nuict son coeur ronge.
</bt>


{ill}

XIII.

De l’Asne & du Lievre.


Nul n’est si peu pourveu d’entendement,
Qu’a vn besoin ne serve aucunement.



VN Lion se trouvant en estrange contree,
Fantasie luy prend d’equipper vne armee
De beste a quatre pieds, qu’il fait a soy venir.
Icelles sans arrest par montaigne & vallee
Sont venues bien tost pour son droict maintenir.
Or les ayant tous fait ensemble convenir,
Il leur a declare qu’avoit sa foy juree,
Faire guerre aux oiseaux, quoy qu’en deust advenir.
Dequoy nous servira de l’Asne la paresse,
Et du Lievre du peur, dit l’Ours, maistre honnorable?
Le Lion luy respond: Du Lievre la vistesse,
Et de l’Asne la voix, en ce faict redoutable,
Viendront bien a propos: car l’vn prompt messager
Nous sera au besoin, & l’autre a hardiesse
Vous incitera tous. Parquoy aide & addresse
Il y a en chacun qui la scait employer.


ALLVSION.

L’Esprit faux & maling qui regne en l’ennieux,
Tousiours va machinant en quoy il pourra nuire
Au simple & peu subtil: & pour mieux le destruire,
Cerche par tous moyens de le rendre ennuieux
Vers son superieur, par ses dits odieux.
Mais il advient souvent, que ceux-là qu’inhabiles
On repute & grossiers, maintesfois plus habiles
Ils sont a vn besoin, que les ingenieux.


<bv>ESAIE XXXIII.</bv>

<bt>Qui mesprise l’estat de son frere & prochain,
Pour n’estre cauteleux, malin, faux & rusé;
Non seulement aura contre Dieu mesusé,
Ains de luy il sera puni par grand desdain.
</bt>


{ill}

XIIII.

Combat des Bestes a quatre pieds, & des Oiseaux.


IL faut tousiours auecque grand’ constance
Donner secours aux siens, & assistance.



LES Oiseaux ont livre bataille aux animaux,
Auecque ferme espoir d’obtenir la victoire:
Et courageusement chacun par vne gloire
S’efforce a l’ennemi de faire mille maux.
La Chausouris voyant tels furieux assaux
Au camp des animaux, tout à coup se retire,
Craignant que les Oiseaux vinsent avoir du pire.
Soldat qui sa baniere abandonne, est tresfaux.
L’Aigle fort & vaillant avecque sa conduite,
Tant ont les animaux travaillez & batus,
Que plusieurs d’iceux ont mattez & abbatus:
Dont ont tourne le doz, evitant leur poursuite.
Les animaux, voyant leur troupe estre destruite,
Trefues ont demande: & fait paction telle,
Que l’orde Chausouris ennemie mortelle
Seroit de tous Oiseaux, pour avoir prins la fuite;
Ne volant que de nuict, & au cler de la belle.


ALLVSION.

QVI a ioui du bien en quelque compaignie,
Raison veut que le mal avec eux il supporte:
Et qui de son devoir en tel faict se deporte,
Digne est qu’il soit taxe d’ingrate vilenie.
N’estce pas vn forsait de grande ignominie,
D’abandonner pour peur ses amis au besoin?
C’est alors qu’on deuroit de leur bien avoir soin,
Et maintenir leur droict tant que dure la vie.


<bv>DEVTERONOME XXIII.</bv>

<bt>Quand vous voudrez aller contre autruy à la guerre,
Jl vous convient garder de toute tyrannie:
Car ce que contre droict se fait, c’est vilenie.
Tout vray soldat content se tient de son salaire.
</bt>


{ill}

XV.

De l’Elephant, & du Dragon.


Rien il n’advient á creature aucune,
Que par son fait, é sa propre rancune.



LE Dragon, veneneux malin & sanguinaire,
Iour & nuict va guettant l’Elephant valereux:
A fin de son sang (dont est fort amoureux)
A son cruel desir il puisse satis faire.
Et pour tant mieux venir au bout de son affaire,
De sa queve en surfaut il va enveloppant
Sa iambe, & du museau les yeux envenimant.
Sage est qui contremine au faict de l’adversaire.
Or l’ayant le Dragon l’Elephant surmonte,
Il tasche à se souler de son sang tout a l’heure:
Mais ce sera par trop a sa tresgrand malheure,
Comme subsequemment vous sera raconte:
Car s’estant enyvre, comme il s’estoit vante,
Du sang de l’Elephant, estourdi chet a terre.
Et l’Elephant sur luy affoibli mort l’aterre.
Le vouloir d’vn meschant n’est iamais contente,


ALLVSION.

IL s’en trouve plusieurs de si pervers courage,
Gourmans du sang d’autruy, que cesse n’ont in vie
Ni repos en leur coeur, tant est rempli d’envie,
Qu’ils n’ayent l’innocent accable par leur rage.
Mais il se voit en fin, que par leur mesme outrage
Tousiours ils sont punis, car qui aucun malheur
Machine contre autruy, iceluy pour tout seur
Est de mesme puni, & souvent d’avantage.


<bv>PROV. XI.</bv> <bv>ESAIE XXXII, LVII.</bv>

<bt>Le mal que le meschant, qui n’a crainte de Dieu,
Procure à l’innocent, sur luy mesme redonde:
Mais celuy qui à droit veut bien vivre en ce monde,
Jl ne faut pas qu’envie en son coeur aye lieu.
</bt>


{ill}

XVI.

De la vieille Cigogne.


La raison veut, & le droict de nature,
Que ieune au vieil pourchasse nourriture.



LA Cigogne a le prix, c’est chose assez notoire,
Entre tous les Oiseaux de pure charite.
Et par ces faicts elle a iceluy merite:
Car ses petits maintient blancs & nets comme yvoire
En leurs nids, sans danger; & qu’a manger & boire
Ils ayent a foison: elle a si tresgrand cure,
Que depuis le matin iusque a le nuict obscure
Ne fait que travailler, dont a ce loz & gloire.
Son espoir est aussi qu’iceux envers leurs ieunes
Semblable charite monstreront & devoir,
Et que pareillement feront appercevoir
Qu’envers elle au besoin n’espargneront leurs peines,
Comme raison requiert: car d’amour les enseignes,
C’est que les ieunes soin ayent de la vieillesse,
Comme les vieux ont eu d’eux durant leur ieunesse;
Bien pour bien leur rendant selon les lois divines.


ALLVSION.

PAreillement aussi les parens doivent estre
Soigneux pour leurs enfans, plus sans comparaison
Prevoyans leur salut, que bestes sans raison,
Qui n’ont soin seulement que pour leur corps repaistre.
Et ce n’est pas assez qu’on leur face cognoistre,
Que pour boire & manger seulement soyent nez:
Mais il faut qu’en vertu soyent endoctrinez:
Car bon arbre bon fruict fait tousiours apparoistre.


<bv>ECCLESIASTE. VII.</bv>

<bt>PERE & Mere honorez par devë reverence;
Car par eux estes nez, pour vivre a vostre tour:
Et comme ils vous ont fait par vraye & pure amour,
Vous aussi au besoin faites leur assistence.
</bt>


{ill}

XVII.

Du Cameleon.


Cameleon de couleur variant,
Semble au flateur de propos inconstant.



LE Cameleon est animal de stature
Trespetit; & si tient tousiours les yeux ouvers.
Il ne vit que de l’air, seul en tout l’vnivers,
Et d’iceluy il prend substance & nourriture.
Sa peau d’vne couleur est, & l’eschine dure;
Mais transmuer se peut ventre, doz, quevë, & flanc,
En toute autre couleur, excepte rouge & blanc.
Bien mal changer lon peut ce qu’est contre nature.
D’vne telle nature est le malin flateur,
Lequel vit selon l’air & humeur des personnes:
Et selon qu’il les voit en tristesse ou en bonnes,
Aussi scait demonstrer puis ioye & puis douleur:
Mais en rouge il ne peut ni en blanche couleur
Se changer; car ce sont les marques des vertus;
Honte, & sincerite, contraire a ses abus,
Qui de flateurs se garde, il aime son honneur.


ALLVSION.

FLateurs, & ruffiens, affronteurs, macquerelles,
Pipeurs & flagorneurs, par miliers deux-ou trois
Trouverez en la court des Princes & des Rois,
Suivans les bons, morceaux, abusans les plus belles.
Et leur plus grand souci, c’est d’esmouvoir querelles
Entre ceux qui tousiours ont este bons amis,
Presumant qu’au lieu d’vn des deux sera admis.
Les traits des flateurs font au coeur playes mortelles.


<bv>ESAIE V.</bv> <bv>OSEE VII.</bv>

<bt>Malheur à qui le mal fait à croire estre bien,
Et qui l’obscure nuict prefere à la lumiere.
Qui aussi maintiendrai contre raison matiere,
De Dieu sera traicte comme Epicurien.
</bt>


{ill}


XVIII.

De Iupiter, & de la Mouche a miel.


Chacun deuroit, pour point Dieu irriter,
Plustost le bien, que le mal souhaiter.



LA Mouche a miel offroit aux dieux en sacrifice
Vn pain de son doux miel delicat & friant,
Pour d’iceux obtenir vn don & benefice,
Contre ceux qui leur miel es ruches vont prenant:
A scavoir, que tous ceux qui d’ores-en avant
D’eux seront (en robant leur miel) picquez, quils meurent.
Mais les dieux de son faict chacun se va moquant:
Car pour le prouffit d’vn, n’est raison que tous pleurent.
Iupiter mal content de l’iniuste requeste,
Present les autres dieux a donne cest arrest:
Que quiconque la Mouche a miel, petite beste,
Picqueroit par desdain en la chair, que de fait,
Y restant l’esguillon, mourust pour son mal-fait:
De mode que depuis, d’icelle gist la vie
En son seul esguillon; ce qu’à toutes desplait.
Iuge sage & prudent iamais raison n’oublie.


ALLVSION.

PAreillement aussi celuy qui par rancune
La mort de son prochain ou ruine procure,
Sans aucune merci & sans pitie aucune,
Il advient bien souvent, que Dieu par sa grand’ cure,
Veut que le mal-vueillant la mesme peine endure,
Dont cerchoit de charger l’innocent sans raison.
Demonstrant par cela, que mieux vaut qu’on endure,
Que vengeance cercher, d’amour la vray poison.


<bv>PROV. XXX.</bv>

<bt>Salomon n’a requis a Dieu en sa priere,
Que tous ses ennemis il chastie & confonde;
Ains seulement luy a supplie, qu’en ce monde
Pour vivre puisse auoir raisonnable matiere.
</bt>


{ill}

XIX.

Du Paon, & du Rossignol.


Vivre deurions contents, sana murmurer,
De ce qu’il plaist a dieu nous conceder.



LE Paon tresglorieux esleve de courage,
Faisant hommage
A Iuno la deesse, (a laquelle est vove)
Se plaignant luy a dit: Combien que d’vn plumage
Excellent soye orne, si ne suis-ie dove
D’vn chant melodieux, (par chacun advove)
Comme est le Rossignol, plaisant & gracieux:
(Dont il n’a tous les dieux trop prise ni love)
Mais l’ignorant iamais n’est content ni heureux.
Iuno a respondu au Paon tresarrogant,
Que d’ores-en-avant
Son coeur mettre devoit de son estre en repos.
Car combien que ne sois, dit-elle, bien chantant
Et plaisant comme luy, si n’as-tu moins de los,
D’vn si riche plumart que portes sur ton dos.
Chacun en son estat deuroit, comme il est deu,
Tresbien se contenter, & tenir en repos,
Selon que peu ou prou est dove de vertu.


ALLVSION.

DIEV par sa grand’ bonte a eslargi sa grace
En toute gent & lieu, pour leur maintenement:
Et veut qu’a son parler donnent telle efficace,
Refrenans leur orgueil, qu’en ait contentement.
En sa vocation chacun humainement
Se deuroit contenter, en rendant a Dieu grace.


<bv>IEAN III.</bv> <bv>PSEAVME XXVIII.</bv>

<bt>Soyons tousiours contents de ce que Dieu nous donne,
Puis que nous n’avons rien que tout par sa bonté.
Prenons aussi en gré ce qu’il veut & ordonne,
Sans faire ou murmurer contre sa volontè.
</bt>


{ill}

XX.

Du Lion, & de la Souri.


LE plus puissant, tant soit-il fort habile,
Souvent besoin a d’vn foible & debile.



VN Lion fade & las par grand course & chaleur,
A l’ombre reposant pour son mal soulager,
Autour de luy a veu des Souris passager,
Desquelles en a pris vne transie de peur.
Icelle le flatant, non sans grande tremeur,
Luy a dit: Lache moy, car pour toy honnorable
Gibier ni prise suis, & moins mets sauourable.
Ton beau parler, dit-il, la laschant, est ton heur.
Advint bien tost apres, que le Lion courant
Et sautant par les champs, se trouva prins aux lacs:
Dont se print à rugir, querant ayde & soulas,
Et qui de son malheur le vinse secourant.
La souri du Lion du tout bien s’asseurant,
Ayant de luy receu si grande courtoisie,
Vistement y accourt, & subit le deslie,
Rongeant du lacs le neud, bien pour bien luy rendant.


ALLVSION.

TAnt plus l’homme est puissant & riche outre mesure,
Tant plus foible doit & povre estre amiable.
Car quand fortune veut, inconstante & instable,
Nostre force se perd, & l’avoir bien peu dure.
Parquoy l’homme prudent & de bonne nature,
Encore qu’a aucun puisse nuire, il craindra:
Car combien qu’heureux soit, bien tost il adviendra
Qu’vn moindre aider le peut, & aussi faire iniure.


<bv>PROV. XXVII.</bv>

<bt>Mieux vaut vn bon voisin & ami cordial,
Qui au besoin est promt d’aider & secourir,
Que tout l’avoir humain qu’on scauroit acquerir:
Car les biens point ne font l’ami tousiours loyal.
</bt>


{ill}

XXI.

La Mouche, & le Formi.


Plus a priser est labeur ordinaire,
Qu’oisiuete, a tout honneur contraire.



LA Mouche arrogamment a la Formi s’oppose,
Et prise son estat beaucoup plus que le sien;
Luy reprochant qu’estoit logee en terre & fien,
Mangeant grains maigrement, qu’est vne povre chose:
Et moy iournellement, ce que faire tu n’ose,
Es grans palais Royaux me loge bravement,
Et avec eux ie mange & boy friandement:
Et quand soule ie suis, par tout ou veux repose.
Le Formi ce oyant, interrompt son propos,
Et luy respond a coup: Il est vray que i’assemble
Avecque grand travail en esté tout ensemble
Les grains que puis trouver; mais c’est pour a repos
Vivre le froid hyver sous terre bien enclos;
Et tu es en danger de l’Araigne, & ses rets,
Qu’elle tient en tous lieux pour t’attrapper expres.
Ceux qui pour gourmander s’aventurent, sont sots.


ALLVSION.

IL s’en trouve plusieurs, qui au jour la iournee,
Sans souci ca & la cerchent les bons morceaux:
Iceux se peuvent bien resembler aux pourceaux,
Desquels pour engraisser la vie est destinee.
Mais qui avecque soin sa vie aura gaignee,
Espargnant ce qu’il faut pour le temps advenir,
Iceluy vous verrez à grans biens parvenir:
Et de tels la fin est en honneur terminee.


<bv>PROV. XVI.</bv>

<bt>Mieux vaut petit avoir acquis avec honneur,
Et d’iceluy vser selon Dieu & raison,
Que grans biens mal acquis, & pompeuse maison.
Car l’avare, & oiseux, periront en mal-heur.
</bt>


{ill}

XXII.

Du Dogghe, & du Mouton.


LES faux tesmoins portent tousiours dommage,
Et à Iustice ils font tort & outrage.



VN grand Dogghe affame, cruel & furieux,
Pour du pain au Mouton preste, comme il disoit,
Sans pitie ni respit il l’a tiré en droict;
Et dit qu’il le r’auroit, ou luy coust’roit les yeux.
Le Mouton, animal bien humble, & gracieux,
A nie son assompt tout plat deuant le Iuge.
Dont le Dogghe fasche, a tesmoins prend refuge.
Procez qui est fonde sur tesmoins, est douteux.
Le Dogghe trois tesmoins a trouve sans fallos,
(Comme font bien souvent gallans de tels mestiers)
Le vautour, le Milan, & le Loup pour le tiers;
Du Mouton desirans plus la mort, que repos;
Et si ont depose pour le Dogghe a propos.
Parquoy son pain ravoir ou sa chair veut à l’heure,
Et d’icelle souler ses tesmoins il asseure.
Pour mal-faire vn meschant trouve plusieurs suppos.


ALLVSION.

IL advient tous les iours, que le povre innocent
Des malings & pervers est assailli a mort.
Et combien qu’il se plaigne au Iuge qu’a grand tort
On le charge & accuse, & qu’il seroit decent
Qu’on luy fisse raison: l’inique par present,
Amis, aide & faveurs, ou faux tesmoins fait tant,
Qu’il obtient ce qu’il veut au temps de maintenant.
La balance plus tend vers l’or, que vers l’argent.


<bv>PROV. XXV.</bv>

<bt>VN faux tesmoin lon peut vrayement comparer
A vn glaive trenchant, & traict bien acere:
Mais qui a l’innocent fraude aura preparé,
Devant Dieu ne saura sa faute reparer.
</bt>


{ill}

XXIII.

De l’Asne charge de vivres.


DES biens que Dieu t’a donne a foison,
Maintien ton corps, & les tiens par raison.



VN lourdaut Paisan possedant du grand bien,
Pour iceux augmenter mettoit toute sa cure;
Accoustre en brimbeur, la mine tousiours sure,
A peine osoit manger, beuvant eau comme vn chien.
De travail tant erne, qu’il ne valoit plus rien;
Soy-mesmes oubliant, pour tousiours assembler.
A qui doit-on vn tel, vous semble-il, resembler,
Sinon à vn poure Asne, & abject porte fien?
Car vn Asne esclave est à chacun sur la terre,
Les servant iour & nuict sans repos langoureux,
Charge de plusieurs mets bien bons & odoreux;
Toutesfois ne se scait a soy-mesmes bien faire:
Et combien qu’avoine aye & foin pour son repaire,
Si luy semblent chardons beaucoup plus savoureux.
Souvent l’amas des biens que parens font sur terre,
Bien tost sont consumez par enfans vicieux.


ALLVSION.

TOut ainsi en advient au mal-heureux avare,
Qui bien vivre pourroit, s’il vouloit, à son aise,
Et se donner bon temps, au lieu qu’est à mal-aise:
Mais d’vn tel monstre voir ce seroit chose rare.
Dieu veut que d’vn peche si infect & bisare
Tout homme soit puni, & en paye l’vsure,
Puis qu’en mieux il ne veut changer l’orde nature.
Tel vit selon son sens, qui en fin le compare.


<bv>PSEAVME LXI.</bv>

<bt>En cas que Dieu te donne en ce monde richesses,
Bien garder te convient de trop ne les cherir:
Car les biens font souvent l’ame & le corps perir,
Et le temps consumer en langueur & tristesses.
</bt>


{ill}

XXIIII.

De l’vnique oiseau Phenix.


Force defaut, & ieunesse se passe;
Mais la vertu demeure & outre-passe.



PHenix vnique oiseau, sans compaigne ou parture;
Vivant, comme lon dit, des ans trois cens quarante;
Au sommet d’vn rocher, & riuiere courante,
Fait son nid de bois sec, sans aucune verdure:
Cognoissant per effect & instinct de nature,
Que comme le Soleil toute chose fait croistre,
Aussi en le bruslant, il le fera renaistre.
De tout ce qu’est cree, Dieu prend le soin & cure.
Ce Phenix met son corps caduque a l’aventure,
Mesme allumant le feu par le vent de ses esles:
Par ceci le grand Dieu demonstres es merveilles,
Et que son ordonnance à tousiours vit & dure,
Encore que tout soit subiect à pourriture,
Faisant par sa vertu des cendres vn ver croistre,
Qui d’vn nouveau Phenix fait l’idee apparoistre,
Et donne vie à tout esprit, & nourriture.


ALLVSION.

A ce Phenix se peut Iesus Christ comparer,
Qui d’vne vraye amour pour nous a souffert mort,
Et par icelle a fait envers Dieu nostre accort;
Tel que Satan ne peut rompre ni separer.
Qui doncques par amour veut a luy adherer,
En mourant renaistra en nouueauté de vie:
Et de ce corps pourri, (quoy qu’au diable il ennuie)
Vn Phenix renaistra pour a iamais durer.


<bv>EPHES. IIII.</bv>

<bt>Mortifions la chair caducque & perissable,
Par l’Esprit du grand Dieu, qui a mis vie en nous:
Et vivons par amour ensemblement trestous,
Christ nous reaifiera en Phenix perdurable.
</bt>


{ill}